Le coronavirus tuera aussi le consensus

Dans X semaines, après X morts, nous ressortirons de nos confinements et adieu la trêve. Nous disputerons de ce qui s’est fait et de ce que nous ferons.
le coronavirus tuera aussi le consensus
A cyclist rides his bicycle on Rue de Rivoli in Paris, on March 26, 2020 on the evening of the tenth day of a strict lockdown in France aimed at curbing the spread of COVID-19, caused by the novel coronavirus. (Photo by Martin BUREAU / AFP)

Le virus tuera aussi le consensus. Après la crise sanitaire, viendra la crise politique. Dans X semaines, après X morts, nous ressortirons de nos confinements et adieu la trêve – union nationale, pas de polémiques pendant la guerre -. Nous disputerons de ce qui s’est fait et de ce que nous ferons.

Sans évoquer des suites judiciaires (des responsables politiques incriminés pour mise en danger d’autrui ?), on fera le procès des retards et des dénis, des injonctions contradictoires et des phrases idiotes (sur le masque, les frontières ou la détection), des fausses anticipations et des vraies contradictions. Bref, des rassurants et des délirants. Déjà, des indices s’accumulent (vidéos de leurs déclarations les plus extravagantes) et les slogans vengeurs apparaissent (#nousnoublieronspas).

En arrière-plan des erreurs bureaucratiques, un système intellectuel

Accusés, les « pas de panique », les « manque pas un bouton de masque », « ça ne sert à rien », « n’ayons peur que de la peur » ou « notre pays a le meilleur système de santé du monde, alors, cette petite grippe… ». En arrière-plan des erreurs bureaucratiques, un système intellectuel : refus de l’inattendu, déni du tragique, vision technocratique, et quelques mantras (modernité, régulation, technique, performance…). Le procès ne portera pas que sur les mauvais calculs de bureaucrates. Mais aussi sur leurs codes : quand on a tout fondé sur la performance, l’ouverture, ou la liberté de l’individu, il est difficile d’admettre qu’il faille arrêter les flux, confiner les hommes et gérer la pénurie.

Il y aura d’autres débats. Sur les conséquences économiques et sociales de la crise (et dont le prix sera forcément inégalement réparti, après la période de « guerre ») mais aussi sur les remèdes à notre impuissance. Les uns dénonceront le néo-libéralisme (vous voyez bien qu’’il faut un État protecteur, des crédits…), les autres, la bureaucratie (56% du PIB en dépense publique et pas capables d’avoir des masques… il faut que ce soit LVMH qui le fasse !).

Il y a aura, en politique étrangère, un parti « plus du même » (il aurait fallu plus de coopération internationale, demain, qui sait, une gouvernance mondiale ; apprenons et corrigeons…). En face, les « vous avez bien vu ! » (la mondialisation, l’Europe, le sans-frontièrisme sapent l’autorité et la sûreté de la Nation). L’invraisemblable faiblesse des occidentaux laissera des traces – alors que ce sont maintenant la Chine, la Russie ou Cuba qui proposent leur aide au camp du Bien, retournant ironiquement les codes du soft power. Dépendance des flux économiques et technologiques, dépendance des autorités internationales, dépendance d’infrastructures : nous n’étions pas si puissants.

Aux impatients du retour à l’ordre existant s’opposera une colère que l’on baptisera populiste. Elle prendra pour cible idéologique à la fois le système incapable de tenir ses obligations minimales (sauver les vies) et ses tabous qui expliquent sa paralysie. Ce sera un duel partisans de l’économie, contre partisans du politique. Ceux pour qui la crise aura été une dysfonction à corriger contre ceux pour qui le réel nous a tragiquement rappelés les limites.

Mais l’idée que toute catastrophe comporte une pédagogie salutaire ou une remise en cause reste à vérifier. D’abord parce que nous ne savons pas où nous en serons et où en seront les forces politiques dans un ou deux mois. Quel sera le poids de l’exaspération et de la résignation, quels moyens d’action l’opinion se seront mis en place ? Ensuite, parce qu’entre ceux qui voudront rétablir l’État providence, relocaliser la Nation ou redécouvrir les lois de la Nature, il n’y aura d’unanimité que pour dire que le monde ancien est condamné. Pendant qu’il renforcera ses dispositifs de contrôle.

La peste antonine ou la variole ont-elles produit des révolutions ? Il n’est pas certain que le chaos soit le pire ennemi du pouvoir.

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