Dans Le Zéro et l’Infini, Arthur Koestler, romancier et journaliste hongrois, qui décrit de l’intérieur la réalité du régime stalinien, avec ses procès et ses exécutions, écrit cette phrase, passée à la postérité, qui résume à elle seule toute l’irrationalité sous jacente aux chiffres et à la statistique. On serait tenté d’ajouter que deux fois deux font encore moins quatre lorsque prévalent les enjeux en termes de narratif et de soft power, pour reprendre une expression qui nous renvoie quelques années en arrière. Et que la somme de cette opération s’éloigne encore plus de quatre lorsque les enjeux géopolitiques, sur une toile de fond sanitaire, prennent le pas sur tout autre considération. Alors certes, il faut se garder de réactiver à l’égard de la Chine, et de sa communication, formelle et informelle, officielle et officieuse, les grilles de lecture qui ont pu prévaloir à un moment donné à l’égard de la Russie, avec une reductio ad fakenewsum pavlovienne empêchant toute réflexion sérieuse et mise en perspective. Pourtant, et comme l’ont souligné plusieurs chercheurs ces derniers jours, la stratégie narrative de la Chine ressemble à s’y méprendre à celle de la Russie au tournant des années 2010.
Le chercheur Kevin Limonier, spécialiste de la Russie et des enjeux géopolitiques ayant trait au cyberespace, souligne notamment que la situation présente, avec la communication chinoise s’écartant des sillons institutionnels et de la bienséance diplomatique, lui donne la “vague impression de revivre les heures glorieuses de La Voix de la Russie”.
Ce média, initialement Radio Moscou, est devenu Sputnik en 2014. Cette mue n’a pas seulement été esthétique, cosmétique et nominative. Elle a donné lieu à une vraie rupture narrative de la part de la Russie, et à une approche plus subtile et fine de l’influence et de la contre-influence, loin des approches unilatérales, extrémistes et bien souvent complotistes. Les dernières publications de l’Ambassade de Chine en France, analysées par le chercheur de la FRS Antoine Bondaz, renvoient à cette époque même si l’absence d’utilisation de média proxy pour déployer ce genre de narratifs, où la désinformation, l’instillation du doute et la rumeur constituent les axes rhétoriques structurants, ne manque pas d’étonner et de questionner sur les motifs de cette stratégie. À qui parle la Chine ? Au gouvernement français et à sa diplomatie ? Aux Français, dans leur globalité, et donc par le truchement des réseaux sociaux (l’ambassade dispose d’un compte Twitter mais également d’une page Facebook) ? Aux francophones, et l’on pense ici naturellement, par ricochet, à la présence chinoise en Afrique ? À la diaspora vivant en France ? Voire au régime chinois lui-même ? Pour Antoine Bondaz, cette dernière hypothèse, consistant pour “les diplomates à Paris [à] se faire mousser par Pékin”, constituerait une clé de lecture pertinente. Si l’hyper-communication chinoise ne manque pas d’étonner, le mutisme de la diplomatie française ne va pas sans soulever des questions.