“Distanciation sociale” et confinement n’étaient pas, loin s’en faut, des concepts et vocables faisant partie du langage courant il y a encore quelques semaines. Pour s’en convaincre, il suffit notamment de s’intéresser à l’évolution de la consultation des pages Wikipédia, en français et en anglais, consacrées au concept de distanciation sociale. Dans l’écosystème anglophone, les premières phases d’intérêt à l’égard de ce concept ont commencé à se structurer aux alentours de mi-février, avant de se cristalliser début mars. La page Wikipédia francophone n’a, quant à elle, été créée que le 13 mars dernier, contrairement à la version anglophone qui existait depuis avril 2017. Autant dire que dans l’opinion publique française, ce sujet n’est pas de ceux qui ont pu se sédimenter au long cours et donner lieu à des avis et autres prises de position tranchées. Un constat légèrement différent aux États-Unis où la page dédiée à ce concept donnait lieu à environ 70 vues quotidiennes en janvier dernier et uniquement 16 vues quotidiennes en décembre 2019. On peut donc en conclure que, dans ce périmètre linguistique spécifique, seule une infime minorité d’individus s’intéressait au sujet.
Sur le profil de ces personnes, et bien que Wikipédia, aux premiers abords ne nous permettent guère d’investiguer plus en avant sur la dimension identitaire des primo-lecteurs de cette page, le postulat d’une surreprésentation de chercheurs, en épidémiologie et en sciences sociales ne semble pas ubuesque. Dès lors, et alors même que ces concepts, et de distanciation sociale, et de confinement, ne vont pas de soi, et font l’objet, de la part de franges antinomiques de la population, de critiques plus ou moins affirmées, il paraît opportun de s’intéresser à la manière dont ces concepts se sont diffusés en France. Quels ont été les “importateurs”, les relais et autres acteurs pivots ayant, en un laps de temps réduit, permis de mettre à l’agenda médiatique et politique, des concepts que nous ignorions jusque-là ?
Une histoire des concepts, à n’en pas douter fructueuse d’un point de vue heuristique, et qui ne va pas sans nous rappeler la manière dont le concept de fake news a surgi dans les rédactions et sous nos latitudes.