“Disinformation Killed The Disinformation Star”

La géographie use, et parfois abuse, des cartes en anamorphose qui, à partir de règles méthodologiques précises, permettent de déformer le réel pour mieux mettre au jour des réalités sous-jacentes.
“disinformation killed the disinformation star”

 Pierre Riché, dans Les Lumières de l’an mille, l’un de ses derniers ouvrages, publié en 2013, revenait sur son principal terrain de recherche, l’an mille, et les fantasmes ayant entouré, notamment dans l’historiographie romantique, cette année. À rebours de Jules Michelet, et du volume II de son Histoire de France paru en 1833, le médiéviste s’inscrit en faux par rapport au portrait d’une époque où la croyance universelle était que “le monde devait finir avec l’an mille de l’incarnation”.

Il faut dire que l’historiographie, tout particulièrement au XIXe siècle a été influencée par les écrits d’un chroniqueur du XIe siècle, Raoul Glaber, qui projetait ses propres grilles de lecture et autres lubies théologiques dans cette fameuse année. Quant à Marc Bloch, dans La société féodale, que Pierre Riché cite dans son propos introductif, il battait également en brèche l’idée d’une terreur universelle. Rappelant la conception chronologique propre à ces temps reculés, l’auteur de L’Étrange défaite rappelle qu’en vérité pour la plupart des Occidentaux ce mot d’an mille qu’on voudrait nous faire croire tout chargé d’angoisses était incapable d’évoquer aucune étape exactement située dans la suite de jours”. De là à dire que nombreux sont les Raoul Glaber aujourd’hui, il n’y a qu’un pas, que nous ne nous gardons pas de franchir ! Nous le franchissons avec d’autant plus d’entrain que les dernières semaines se caractérisent par une nouvelle inflation de couches explicatives, plus ou moins étayées, souvent moins que plus en la matière d’ailleurs, tendant à pointer du doigt tout à la fois une prétendue nouvelle étape franchie dans la guerre de l’information et l’entrée du pays dans une nouvelle séquence d’irrationalité collective.

À n’en pas douter, ni l’une ni l’autre de ces analyses n’est vide de sens et complètement déconnectée de la réalité. Il s’agit cependant, et c’est une constante dans tous travaux analytiques, d’être en capacité d’ajuster précisément le curseur et la focale pour éviter les analyses déformantes. La géographie use, et parfois abuse, des cartes en anamorphose qui, à partir de règles méthodologiques précises, permettent de déformer le réel pour mieux mettre au jour des réalités sous-jacentes (densité de flux, nombre d’entreprises et autres variables).

Pourtant, lorsque l’anamorphose sort de la géographie pour arriver dans le champ de la guerre informationnelle, elle perd en cours de route ses étais méthodologiques, et ne contribue qu’à présenter des miroirs sociaux éminemment déformés. Hier la Russie, aujourd’hui la Chine. Dans les deux cas, les actions de désinformation sont réelles, mais quid du curseur et de la focale ? Le curseur est-il animé par des considérations scientifiques, ou seulement par des impératifs médiatiques, géopolitiques ou économiques ? La frontière est, au demeurant, mince avec les considérations idéologiques, qui très vite, rendent ces études biaisées et inopérantes. Mais comme l’écrivait Julien Benda, l’une des nouveautés de son époque (mais aussi de la nôtre) réside dans “la prétention qu’ont aujourd’hui toutes les idéologies politiques d’être fondées sur la science, d’être le résultat de la “stricte observation des faits”.

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