Mythe gaullien et éloge de “l’esprit français” dans le discours de l’État en période de crise

Car si l’événement célébré ce jour représente une défaite de l’armée française contre l’Allemagne nazie, celle-ci constitue dans le même temps l’élément déclencheur du mythe gaullien.
mythe gaullien et eloge de “l’esprit francais” dans le discours de l’etat en periode de crise

“Il est des défaites d’un jour qui portent toutefois en elles les germes des victoires à venir. La bataille de Montcornet est de celles-ci”, a déclaré le Président de la République, le dimanche 17 mai, dans un discours fleuri d’allusions à la crise sanitaire actuelle. Pour Emmanuel Macron, l’objectif est double. D’une part, rendre hommage à celui qui n’était le 17 mai 1940 que colonel, mais aussi faire résonner cet événement de la Bataille de France avec le contexte actuel.

Car si l’événement célébré ce jour représente une défaite de l’armée française contre l’Allemagne nazie, celle-ci constitue dans le même temps l’élément déclencheur du mythe gaullien. “C’est à Montcornet que j’ai forgé mes résolutions” écrivait le général De Gaulle dans ses Mémoires de guerre, faisant de cette bataille une victoire de la résistance française sur les troupes de la Wehrmacht et les chars de Guderian. De prime abord, l’hommage du Président de la République peut paraître somme toute naturel, s’inscrivant dans le cycle de commémoration de “l’année De Gaulle”. Mais difficile de ne pas voir, dans le contexte actuel, l’esquisse d’une comparaison historique visant à donner de l’épaisseur et de la grandeur à un discours étatique dont la parole est plus que jamais écoutée, du moins entendue par les Français. Une parole présidentielle qui, à mesure de la crise sanitaire, s’est drapée d’une rhétorique guerrière, en témoigne le verbe gaullien et martial déjà utilisé par le chef de l’État notamment lors de son allocution du 16 mars. Des allusions historiques qui rappellent que dans le discours politique national, l’histoire permet d’idéaliser certains traits du caractère français, cultivé dans un certain roman national.

Qu’il s’agisse d’une réelle volonté de rendre hommage au père de la Ve République ou qu’il s’agisse plutôt d’une simple stratégie de communication élyséenne, le verbatim choisi par le chef de l’État ne doit rien au hasard. En glorifiant “l’esprit français” à maintes reprises, Emmanuel Macron met en exergue la vertu collective et entretient un “sentiment d’appartenance”. Une unité si importante, dans un contexte sanitaire où la victoire contre l’épidémie dépend du respect des règles sanitaires par les Français. D’autre part, l’enjeu est de faire perdurer le sentiment d’unité nationale, qui semble se fracturer face à la stratégie de déconfinement entreprise par le gouvernement et à la politique de l’après. Plus encore, le discours se fait l’éloge du dévouement et du sacrifice “des grognards du dernier carré de la garde”, ou encore de l’héroïsme “des poilus de Verdun”. Difficile de ne pas voir en cela une métaphore, un écho au dévouement et au sacrifice des soignants contre l’épidémie de Covid-19.

Enfin, à travers ce discours, Emmanuel Macron semble inscrire la crise sanitaire sur le temps long. Réaffirmer que la victoire n’est pas encore là, que la défaite n’est pas à envisager, mais que les efforts sont à maintenir. Après s’être vêtu du costume de Clemenceau, se prononçant sur cet état de guerre contre le Covid-19 ; avoir fait appel, tel Churchill à la solidarité et au dévouement national ; Emmanuel Macron, comme tous les présidents de la Ve République, prend les habits de celui qui deviendra le Général De Gaulle. À bien des égards, le discours d’Emmanuel Macron est la manifestation éclatante de la manière dont le discours politique mobilise le roman national pour se relégitimer.

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