Au cours des siècles, les grandes épidémies ont souvent précipité de grandes transformations politiques et sociales, comme l’Histoire du monde occidental semble le montrer encore et encore : la Peste Noire au XIVe siècle, la peste Justinienne au VIe siècle, ou encore la peste de Cyprien au IIIe siècle, semblent avoir eu raison respectivement de l’époque médiévale, de la tentative de l’empereur Justinien de ressusciter l’Empire romain, ou encore provoqué la chute de Rome selon certaines théories.
Par-delà leurs conséquences matérielles tangibles, les conséquences intellectuelles et morales sont parmi celles qui jouent le plus grand rôle dans ces processus de transformation. De même que l’épidémie abolit certaines croyances qui structurent l’horizon mental des individus comme elles encadrent et rendent possible la vie sociale (le respect dû aux morts, la confiance en l’avenir et envers les autres semblables), celle-ci souligne la fragilité des institutions humaines face à l’ennemi invisible qu’est la maladie.
Dans son essai intitulé “Comment l’empire romain s’est effondré”, l’historien américain Kyle Harper fait ainsi de la peste de Cyprien vers l’an 250 de notre ère l’une des causes de l’essor du christianisme au détriment du paganisme antique – les dieux des Romains et des Grecs s’étant montrés incapables de venir à bout du fléau, présenté par les tenants de la nouvelle religion comme un châtiment divin. Près de 18 siècles plus tard, la mauvaise santé d’Airbnb et le licenciement de 3 500 employés d’Uber lors d’une vidéoconférence éclair de 3 minutes a, d’une manière étrangement parallèle, illustré la faillibilité des dogmes établis – en l’occurrence économiques – qui prévalaient jusqu’ici de manière quasi-incontestée : de la nécessité supposée de disrupter tous les secteurs économiques (“l’ubérisation”) au point de l’ériger en modèle de société indépassable (la “startup nation”).
L’inutilité de l’IA et des nouvelles technologies dans la lutte contre le virus est apparue patente, surtout mise en regard de la pénurie de biens industriels pourtant simples à produire (masques, surblouses, gel hydroalcoolique), ainsi que le soulignait Xavier Desmaison dans son éditorial du 18 mai dernier. Si l’utopie de la technologie salvatrice qui aurait réponse à tout n’est pas nécessairement morte, celle-ci se trouve sérieusement remise en cause par un simple organisme micro-cellulaire, venu du fond des âges.
Qu’en sera-t-il à l’heure de s’attaquer à d’autres grands problèmes comme celui du changement climatique, face auquel la technologie se présente comme la seule alternative à la décroissance ?
Rien de nouveau sous le soleil
Qu’en sera-t-il à l’heure de s’attaquer à d’autres grands problèmes comme celui du changement climatique, face auquel la technologie se présente comme la seule alternative à la décroissance ?
