Le projet européen de cloud GAIA-X, premier pas vers un cloud souverain communautaire ?

“GAIA-X n’est donc pas en soi la condition suffisante pour la création de clouds souverains nationaux, ou d’un cloud souverain communautaire. Il a toutefois le mérite d’impliquer décideurs politiques et industriels au cœur des enjeux de souveraineté des données C’est également une plateforme de rencontres, d’échanges et de partage d’expertise entre les acteurs européens qui sont parties prenantes de l’initiative.“
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L’hébergement des données : un enjeu de souveraineté que l’actualité récente a rappelé 

Olivier de Maisonrouge, expert de l’Observatoire de l’intelligence économique, rappelait en octobre dernier les enjeux de souveraineté que représente l’hébergement des données informatiques nationales et européennes.

L’actualité française en a encore fourni un exemple ces derniers mois. La polémique – et les procédures judiciaires – provoquée par l’attribution de l’hébergement du Health Data Hub français à Microsoft par le gouvernement français, a rappelé les risques inhérents à l’hébergement des données sensibles (de santé en l’occurrence).  Dans son mémoire au gouvernement transmis au mois d’octobre, la présidente de la CNIL alertait des risques que faisait peser le Cloud Act américain et son caractère extraterritorial pour la confidentialité des données de nos concitoyens – enjoignant le gouvernement de se passer des services de l’hébergeur américain. Un enjeu qui  par ailleurs semble avoir été pris en compte par le gouvernement français : le secrétaire d’Etat au numérique, Cédric O, annonçait, le 9 octobre, son intention de “rapatrier” l’hébergement du Health Data Hub en Europe “sur des plate-formes françaises ou européennes”. 

La fin de la “corruption culturelle” ? L’ambition européenne de GAIA-X 

Annoncé par le gouvernement fédéral allemand en octobre 2019, le programme d’architecture fédérée, GAIA-X, ambitionne de créer une infrastructure d’hébergement des données “à haute performance, compétitive, sécurisée et fiable” à l’échelle européenne. La France a rapidement rejoint le  projet qui s’est ainsi   concrétisé par un partenariat entre le français OVHCloud et l’allemand T-Sytems, chargés d’en établir l’infrastructure. L’initiative franco-allemande, rassemblant au départ un consortium de 22 entreprises – à parts égales françaises et allemandes -, a depuis atteint une stature européenne. Sur les 180 membres actuels du projet, on compte 30 entreprises italiennes, “tandis qu’une dizaine d’autres pays membres de l’Union européenne sont représentés”, selon L’Usine Nouvelle

A l’occasion du Sommet sur GAIA-X qui s’est tenu les 18 et 19 novembre, son PDG Hubert Tardieu a affirmé : Le cloud souverain, cela signifie rendre la souveraineté dans l’usage des données à ceux qui les partagent. Et T-Systems de renchérir par le biais de son directeur France, Jean-Paul Alibert : Gaia-X est une démarche de construction, pas d’exclusion”. 

Et de fait, les américains Microsoft, Amazon et Palantir comme le chinois Huawei sont parties prenantes du projet. Avec un pouvoir toutefois limité selon ce que rapporte le journal Les Echos : s’ils sont associés aux travaux préparatoires, ils n’ont toutefois pas de droit de décision au sein de la société. 

Forger les normes communautaires communes dans un marché européen de la donnée de 400 milliards d’euros 

Le projet GAIA-X ne se pose pas en concurrent des géants des services de cloud tels que Microsoft Azure ou Amazon Web Services (AWS),  filiales des géants américains Microsoft et Amazon dédiées à la partie cloud computing. Son objectif n’est pas de créer un cloud public européen puisqu’il s’adresse aux acteurs B2B. Il vise à faire émerger un ensemble de normes et bonnes pratiques “conformes aux valeurs européennes”, avec pour principes phares la réversibilité des données, l’interopérabilité, la transparence et la sécurité. 

Les enjeux commerciaux du cloud computing sont de taille : en 2019, le marché européen de la donnée pesait plus de 400 milliards d’euros. Et les services de cloud, substrat du marché de la donnée, sont en plein essor, à l’instar d’AWS. En 2017, AWS était en position confortable de leader du marché mondial du secteur avec 49,4% des parts du marché, loin devant Microsoft (12,7% des pdm) et Alibaba (5,3% des pdm). Si AWS ne représentait “que” 10,7% du chiffre d’affaires total d’Amazon, son bénéfice opérationnel avait atteint, cette même année, 7,3 milliards de dollars US sur les 10,1 milliards de l’ensemble des activités du groupe. En 2019,  le cabinet Gartner projetait une croissance exponentielle du marché mondial entre 2018 et 2022, passant de 182,4 milliards à 331,2 milliards de dollars US. 

Outre les enjeux commerciaux colossaux des services de cloud public – la fourniture de services de cloud souverains donne lieu à une compétition acharnée entre les leaders du secteur. Mis en concurrence face à Microsoft sur le projet de cloud militaire JEDI d’un montant de 10 milliards de dollars US par le Département de la Défense (DoD) – lequel avait opté pour le second, AWS avait alors décidé de porter plainte en février 2020 contre le DoD. Ce dernier a finalement confirmé son choix en septembre 2020, AWS se fendant d’un billet de blog, allant jusqu’à affirmer que la décision du DoD était inspirée par la volonté de “satisfaire les désirs du Président [Donald J. Trump], plutôt que de faire ce qui est juste”, sur fond d’accusation de rivalité personnelle entre Jeff Bezos et le président américain. 

GAIA-X n’est donc pas en soi la condition suffisante pour la création de clouds souverains nationaux, ou d’un cloud souverain communautaire. Il a toutefois le mérite d’impliquer décideurs politiques et industriels au cœur des enjeux de souveraineté des données C’est également une plateforme de rencontres, d’échanges et de partage d’expertise entre les acteurs européens qui sont parties prenantes de l’initiative.

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