Pourquoi trouve-t-on des Joker parmi les peuples en révolte ?
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Résumé
Quand ceux qui n’ont plus rien partagent le symbole du grotesque et de la vengeance, leur défi nihiliste nous annonce un singulier retour du conflit.
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Quand ceux qui n’ont plus rien partagent le symbole du grotesque et de la vengeance, leur défi nihiliste nous annonce un singulier retour du conflit.
Révolte partout, révolution nulle part, pour le moment : au Chili, au Liban, à Hong Kong, en Irak, en Catalogne ou en France, les foules inventent de nouvelles formes de protestation. Ne se distinguent encore vraiment ni les chefs, ni les idéologies, ni les appareils, ni les alliances, ni toujours la hiérarchie des revendications. Mais toutes opposent la colère de ceux d’en bas, des enracinés, des somewhere (D. Goodhart), des manants (N. Polony), des périphériques (Guilluy) à des représentants légaux et au « système ». Sans forcément pouvoir ou vouloir les remplacer.
Universalité des révoltes
Leitmotiv : les dirigeants ont trahi. En réprimant le séparatisme (Catalogne), en coopérant avec l’impérialisme chinois (Hong Kong), en augmentant le prix du ticket de métro et en réprimant (Chili), en instaurant une taxe WhatsApp et en étant corrompus (Liban), en abandonnant le peuple et en se réfugiant dans la zone verte de Bagdad (Irak). Nos propres Gilets jaunes ont commencé par un mouvement contre le prix du gazole avant de vouloir chasser Macron le Méprisant.
Bien entendu n’additionnons pas les pommes de discorde et les poires d’angoisse. Il y a des thématiques communes – corruption, anti-élitisme ou anti-parlementarisme, difficultés de la vie quotidienne, appel au vrai peuple unanime (toutes confessions réunies au Liban). Mais les implications économico-sociales (qui nous aidera ?), politiques (qui nous représente et nous commande ?) et culturelles (qui nous sommes, qui ils sont ?) ne sont pas les mêmes.
Reste pourtant que ces foules mobiles et obstinées s’empruntent méthodes et signes au-delà des frontières. Elles partagent des réseaux sociaux et une culture pop. La seconde fournit des signes de reconnaissance, les premiers des moyens de rassemblement, de coordination et de contre-censure.
Ainsi le Gilet jaune franchouillard est devenu populaire à Hong Kong, on l’a vu au Liban et en Catalogne dès les manifestations de fin 2018. On le revoit au Chili, mais attention aux mésinterprétations : les chaleccos amarillos sont surtout les milices qui surveillent leurs quartiers. Globalement, comme les techniques pour se protéger de la police ou pour théâtraliser sa colère se ressemblent, ces foules vaguement solidaires ont un air de famille qu’accentuent les images des chaînes d’information.
Le Joker
Le gilet est fait pour rendre visible les invisibles et le masque pour cacher les identités. On a connu l’époque où fleurissaient ceux de Guy Fawkes inspirés du justicier du peuple dans V comme Vendetta. C’est maintenant le Joker, le maquillage de clown, qui apparaît, même de façon très minoritaire.
Il déclenche des indignations. Le film – qui connaît maintenant un succès planétaire – est la description de la vie la plus misérable de la Terre. Comique raté, handicapé, renvoyé, moqué, lynché par des voyous de quartier et relynché par des golden boys, plaqué par les services sociaux et chargé d’une mère mythomane… le futur vilain, qui sera le pire ennemi de Batman, est une victime de la société tel qu’en rêve tout avocat sans talent. Mais, un jour, il tue des riches et son exemple devient contagieux : les rues se remplissent d’émeutiers grimés en clowns qui l’imitent. Et qui, d’ailleurs, assassinent le politicien milliardaire qui les a traités de clowns, le père du futur Batman.
Dans tous les cas, quand ceux qui n’ont plus rien partagent le symbole du grotesque et de la vengeance, leur défi nihiliste nous annonce un singulier retour du conflit.
Vous pouvez donc tirer l’interprétation du film vers le misérabilisme : il décrit les raisons de se sentir désespéré pour soi, de perdre confiance en autrui et d’être en rage contre le système, trois ressorts de tous les populismes. Ou vous pouvez vertueusement vous indigner de ces appels à la violence facistoïde. Mais, dans tous les cas, quand ceux qui n’ont plus rien partagent le symbole du grotesque et de la vengeance, leur défi nihiliste nous annonce un singulier retour du conflit.
Révolte partout, révolution nulle part, pour le moment : au Chili, au Liban, à Hong Kong, en Irak, en Catalogne ou en France, les foules inventent de nouvelles formes de protestation. Ne se distinguent encore vraiment ni les chefs, ni les idéologies, ni les appareils, ni les alliances, ni toujours la hiérarchie des revendications. Mais toutes opposent la colère de ceux d’en bas, des enracinés, des somewhere (D. Goodhart), des manants (N. Polony), des périphériques (Guilluy) à des représentants légaux et au « système ». Sans forcément pouvoir ou vouloir les remplacer.
Universalité des révoltes
Leitmotiv : les dirigeants ont trahi. En réprimant le séparatisme (Catalogne), en coopérant avec l’impérialisme chinois (Hong Kong), en augmentant le prix du ticket de métro et en réprimant (Chili), en instaurant une taxe WhatsApp et en étant corrompus (Liban), en abandonnant le peuple et en se réfugiant dans la zone verte de Bagdad (Irak). Nos propres Gilets jaunes ont commencé par un mouvement contre le prix du gazole avant de vouloir chasser Macron le Méprisant.
Bien entendu n’additionnons pas les pommes de discorde et les poires d’angoisse. Il y a des thématiques communes – corruption, anti-élitisme ou anti-parlementarisme, difficultés de la vie quotidienne, appel au vrai peuple unanime (toutes confessions réunies au Liban). Mais les implications économico-sociales (qui nous aidera ?), politiques (qui nous représente et nous commande ?) et culturelles (qui nous sommes, qui ils sont ?) ne sont pas les mêmes.
Reste pourtant que ces foules mobiles et obstinées s’empruntent méthodes et signes au-delà des frontières. Elles partagent des réseaux sociaux et une culture pop. La seconde fournit des signes de reconnaissance, les premiers des moyens de rassemblement, de coordination et de contre-censure.
Ainsi le Gilet jaune franchouillard est devenu populaire à Hong Kong, on l’a vu au Liban et en Catalogne dès les manifestations de fin 2018. On le revoit au Chili, mais attention aux mésinterprétations : les chaleccos amarillos sont surtout les milices qui surveillent leurs quartiers. Globalement, comme les techniques pour se protéger de la police ou pour théâtraliser sa colère se ressemblent, ces foules vaguement solidaires ont un air de famille qu’accentuent les images des chaînes d’information.
Le Joker
Le gilet est fait pour rendre visible les invisibles et le masque pour cacher les identités. On a connu l’époque où fleurissaient ceux de Guy Fawkes inspirés du justicier du peuple dans V comme Vendetta. C’est maintenant le Joker, le maquillage de clown, qui apparaît, même de façon très minoritaire.
Il déclenche des indignations. Le film – qui connaît maintenant un succès planétaire – est la description de la vie la plus misérable de la Terre. Comique raté, handicapé, renvoyé, moqué, lynché par des voyous de quartier et relynché par des golden boys, plaqué par les services sociaux et chargé d’une mère mythomane… le futur vilain, qui sera le pire ennemi de Batman, est une victime de la société tel qu’en rêve tout avocat sans talent. Mais, un jour, il tue des riches et son exemple devient contagieux : les rues se remplissent d’émeutiers grimés en clowns qui l’imitent. Et qui, d’ailleurs, assassinent le politicien milliardaire qui les a traités de clowns, le père du futur Batman.
Dans tous les cas, quand ceux qui n’ont plus rien partagent le symbole du grotesque et de la vengeance, leur défi nihiliste nous annonce un singulier retour du conflit.
Vous pouvez donc tirer l’interprétation du film vers le misérabilisme : il décrit les raisons de se sentir désespéré pour soi, de perdre confiance en autrui et d’être en rage contre le système, trois ressorts de tous les populismes. Ou vous pouvez vertueusement vous indigner de ces appels à la violence facistoïde. Mais, dans tous les cas, quand ceux qui n’ont plus rien partagent le symbole du grotesque et de la vengeance, leur défi nihiliste nous annonce un singulier retour du conflit.
Celui qui ne maîtrisera pas la technologie, ne maîtrisera peut-être demain ni sa souveraineté, ni la simple faculté de parler de la même réalité.
Le chiffre global tétanise : 33.769 attentats «islamistes» (se réclamant d’un projet d’établissement de la charia et/ou du califat) ont couté la vie à au moins 167.096 personnes.
Les black blocs, groupe affinitaire et temporaire, excellent dans la programmation numérique de l’action physique. Nihilisme symbolique et individualisme surexcité, le tout sur fond de communautés numériques : c’est bien la troisième génération de la révolte dont parle Régis Debray : sans contre-projet, mais dans l’action comme révélation de soi.
Quand l’Iran se coupe de la Toile pour isoler ses activistes, il révèle une fracture bien plus profonde.