Quand l’Iran se coupe de la Toile pour isoler ses activistes… et révèle une fracture profonde

Date

29 novembre 2019

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Résumé

Quand l’Iran se coupe de la Toile pour isoler ses activistes, il révèle une fracture bien plus profonde.

Date

29 novembre 2019

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Résumé

Quand l’Iran se coupe de la Toile pour isoler ses activistes, il révèle une fracture bien plus profonde.

Dans le flot d’images de foules en colère qui prolifèrent sur les écrans, l’information est passée presque inaperçue. L’Iran a coupé l’accès à Internet aux environs du 16 novembre, pour étouffer la contestation domestique en ligne. Mais aussi pour interdire de communiquer avec l’extérieur (envoyer des vidéos de la répression à l’étranger, recevoir conseils et encouragements des démocraties…). Constat : un pays sous embargo qui n’est ni le plus riche, ni le plus technologiquement avancé du monde peut s’isoler, numériquement parlant.

Pour mémoire, en 2009, lors de la « vague verte » de protestation qui suivit l’élection d’Ahmaninedjad, des téléphones mobiles avaient enregistré l’agonie de la manifestante Neda Agha Soltan et l’avaient transformée en icône planétaire. À l’époque, Libération titrait « la révolution Twitter ? ».

Printemps arabes ?

Deux ans plus tard, au moment du Printemps arabe en 2011, l’interprétation dominante était que les dictateurs seraient comme condamnés par le développement des réseaux 2.0 : les « jeunes », forcément libéraux et ouverts, avec l’aide de blogs (pour lancer les idées), de Facebook (pour se rencontrer), de Twitter (pour se coordonner dans la rue) et des smartphones (pour filmer dans les manifs) mobiliseraient la planète et imposeraient la démocratie. Et les vieux autocrates qui contrôlaient les journaux et télévisions nationales, n’y pourraient rien.

On pensait qu’Internet est intrinsèquement sans-frontière (traduisez : occidental) puisque chacun peut s’y exprimer et personne le censurer. Cette conviction a au moins deux origines. L’une est la culture techno-libertaire californienne et ses prophètes comme John Perry Barlow. Dans un manifeste « Déclaration d’indépendance du cyberespace » (1996), il annonçait que le cyberespace immatériel échapperait à tout contrôle politique. Une seconde source est l’idée qui se répand quinze ans plus tard d’un « cyberpower » américain (prolongeant son soft power culturel) : dans la mesure où l’inventivité technologique, les brevets, les institutions du Net, les machines, les données stockées et surtout les GAFA étaient aux États-Unis, qui pourrait s’isoler de cette puissance et de cette influence ? Après l’affaire des révélations de Snowden, on ajoutera : et de cette surveillance ?

Ces postulats viennent donc d’être démentis par la performance du National Internet Network (NIN) l’internet domestique iranien. Ceux qui critiquaient l’utopie des réseaux, disaient qu’il y a une « courbe d’apprentissage des dictatures » ou que nous nous dirigeons vers une « balkanisation du Net » n’avaient pas si tort.

Il y a quelques mois, la Russie a préparé un exercice d’isolation partielle de l’Internet national. Moscou tend à rapatrier les données nationales sur son territoire, à contrôler les points d’entrée, à se doter de son propre système d’adressage, bref à surveiller les tuyaux et les protocoles (ceux qui aiguillent les ordinateurs vers des adresses et sites ou permettent d’aller à un fournisseur d’accès) sur le « segment russe » d’Internet. Le but est de se préserver d’éventuelles offensives informationnelles venues de l’étranger.

Il y a surtout le cas chinois : protégé par sa « Grande muraille de feu » (allusion aux firewalls ou pare-feux informatiques qui protègent un réseau privé mais ici à l’échelle d’un Empire), possédant des équivalents des GAFA, les BATX (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi) en bonne harmonie avec le Parti, en pointe dans la recherche, la Chine étend sa souveraineté cyber. Elle pourrait faire modèle.

Cyberespace

Certes, l’idée que des puissances étrangères puissent attaquer « notre » territoire par écran interposé n’est pas très nouvelle. Dès les années 90, il était question d’éventuelles cyberattaques capables de mettre un pays à genoux. Depuis 2016, beaucoup tendent à accuser les trolls et cyberactivistes russes ou autres d’exercer une influence délétère sur les démocraties : fausser les élections ou saper la confiance dans le système. D’où la nécessité de lois et moyens de défense. Même en France, on tend à contrôler le Net, parfois au nom de la lutte contre les fausses nouvelles et les discours de haine.

Mais la capacité technique de s’isoler est d’une autre nature ; il ne s’agit plus seulement de demander aux plateformes qui ne sont pas sur votre territoire de censurer ou retirer. La souveraineté numérique suppose de pouvoir décider, fût-ce provisoirement, des flux, et de refaire frontière, du cyberespace. et pas seulement contre les virus informatique et les influences idéologiques, pour s’assurer une autonomie économique, informationnelle et politique.

Voici que réapparaissent des frontières là où on les attendait le moins, dans le cyberespace. Un État qui a une stratégie à long terme peut se protéger par la technologie de la technologie. Le territoire que l’on croyait oublié se venge des utopies.

Dans le flot d’images de foules en colère qui prolifèrent sur les écrans, l’information est passée presque inaperçue. L’Iran a coupé l’accès à Internet aux environs du 16 novembre, pour étouffer la contestation domestique en ligne. Mais aussi pour interdire de communiquer avec l’extérieur (envoyer des vidéos de la répression à l’étranger, recevoir conseils et encouragements des démocraties…). Constat : un pays sous embargo qui n’est ni le plus riche, ni le plus technologiquement avancé du monde peut s’isoler, numériquement parlant.

Pour mémoire, en 2009, lors de la « vague verte » de protestation qui suivit l’élection d’Ahmaninedjad, des téléphones mobiles avaient enregistré l’agonie de la manifestante Neda Agha Soltan et l’avaient transformée en icône planétaire. À l’époque, Libération titrait « la révolution Twitter ? ».

Printemps arabes ?

Deux ans plus tard, au moment du Printemps arabe en 2011, l’interprétation dominante était que les dictateurs seraient comme condamnés par le développement des réseaux 2.0 : les « jeunes », forcément libéraux et ouverts, avec l’aide de blogs (pour lancer les idées), de Facebook (pour se rencontrer), de Twitter (pour se coordonner dans la rue) et des smartphones (pour filmer dans les manifs) mobiliseraient la planète et imposeraient la démocratie. Et les vieux autocrates qui contrôlaient les journaux et télévisions nationales, n’y pourraient rien.

On pensait qu’Internet est intrinsèquement sans-frontière (traduisez : occidental) puisque chacun peut s’y exprimer et personne le censurer. Cette conviction a au moins deux origines. L’une est la culture techno-libertaire californienne et ses prophètes comme John Perry Barlow. Dans un manifeste « Déclaration d’indépendance du cyberespace » (1996), il annonçait que le cyberespace immatériel échapperait à tout contrôle politique. Une seconde source est l’idée qui se répand quinze ans plus tard d’un « cyberpower » américain (prolongeant son soft power culturel) : dans la mesure où l’inventivité technologique, les brevets, les institutions du Net, les machines, les données stockées et surtout les GAFA étaient aux États-Unis, qui pourrait s’isoler de cette puissance et de cette influence ? Après l’affaire des révélations de Snowden, on ajoutera : et de cette surveillance ?

Ces postulats viennent donc d’être démentis par la performance du National Internet Network (NIN) l’internet domestique iranien. Ceux qui critiquaient l’utopie des réseaux, disaient qu’il y a une « courbe d’apprentissage des dictatures » ou que nous nous dirigeons vers une « balkanisation du Net » n’avaient pas si tort.

Il y a quelques mois, la Russie a préparé un exercice d’isolation partielle de l’Internet national. Moscou tend à rapatrier les données nationales sur son territoire, à contrôler les points d’entrée, à se doter de son propre système d’adressage, bref à surveiller les tuyaux et les protocoles (ceux qui aiguillent les ordinateurs vers des adresses et sites ou permettent d’aller à un fournisseur d’accès) sur le « segment russe » d’Internet. Le but est de se préserver d’éventuelles offensives informationnelles venues de l’étranger.

Il y a surtout le cas chinois : protégé par sa « Grande muraille de feu » (allusion aux firewalls ou pare-feux informatiques qui protègent un réseau privé mais ici à l’échelle d’un Empire), possédant des équivalents des GAFA, les BATX (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi) en bonne harmonie avec le Parti, en pointe dans la recherche, la Chine étend sa souveraineté cyber. Elle pourrait faire modèle.

Cyberespace

Certes, l’idée que des puissances étrangères puissent attaquer « notre » territoire par écran interposé n’est pas très nouvelle. Dès les années 90, il était question d’éventuelles cyberattaques capables de mettre un pays à genoux. Depuis 2016, beaucoup tendent à accuser les trolls et cyberactivistes russes ou autres d’exercer une influence délétère sur les démocraties : fausser les élections ou saper la confiance dans le système. D’où la nécessité de lois et moyens de défense. Même en France, on tend à contrôler le Net, parfois au nom de la lutte contre les fausses nouvelles et les discours de haine.

Mais la capacité technique de s’isoler est d’une autre nature ; il ne s’agit plus seulement de demander aux plateformes qui ne sont pas sur votre territoire de censurer ou retirer. La souveraineté numérique suppose de pouvoir décider, fût-ce provisoirement, des flux, et de refaire frontière, du cyberespace. et pas seulement contre les virus informatique et les influences idéologiques, pour s’assurer une autonomie économique, informationnelle et politique.

Voici que réapparaissent des frontières là où on les attendait le moins, dans le cyberespace. Un État qui a une stratégie à long terme peut se protéger par la technologie de la technologie. Le territoire que l’on croyait oublié se venge des utopies.

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