Vérité médicale, vérité politique
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Résumé
La crise sanitaire est devenue une crise de croyance. Là où la science aurait dû diagnostiquer, prescrire, prédire, règne la confusion de l’opinion et la peur de la manipulation.
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Résumé
La crise sanitaire est devenue une crise de croyance. Là où la science aurait dû diagnostiquer, prescrire, prédire, règne la confusion de l’opinion et la peur de la manipulation.
Que le mensonge et l’imposture fassent partie de la vie politique depuis toujours – au moins depuis que Platon et Aristote les réfutaient – voilà qui est difficile à contester. Sous la forme :
- de la ruse (qui amène l’adversaire à penser faux sur la réalité des forces ou sur vos propres intentions),
- du mensonge des dirigeants (qui affirment généralement que tout va bien grâce à eux et que ce qui va mal est dû à des trahisons)
- ou des affabulations des démagogues (pour convaincre le peuple de les suivre, de se révolter, etc.) : l’affirmation que ce que l’on sait pertinemment ne pas exister existe devient un outil stratégique.
Mensonges et pouvoirs
Le vingtième siècle en a fait un usage particulièrement redoutable sous la double forme du mensonge totalitaire (qui consiste globalement à contraindre un peuple à croire en une réalité imaginaire et en une explication idéologique délirante du monde) et de la désinformation (par des réseaux, des médias qui émettent jusque sur le territoire adverse).
La chute de l’URSS n’a impliqué ni la fin des mensonges politiques (destinés à justifier des guerres p.e.), ni empêché les grandes paniques de l’opinion (tentées par les thèses complotistes au moment du onze septembre p.e.) ; on n’a vu ni l’unification de tous les cerveaux de la planète partageant les mêmes « valeurs » ni l’acceptation unanime des mêmes principes scientifiques par tous (ainsi sur les vaccins ou le réchauffement climatique).
Qu’il s’agisse de refuser les vérités de fait (nier des massacres avérés ou montrer, photos truquées à l’appui, des crimes imaginaires) ou même des vérités de raison (la terre est plate, la théorie de l’évolution est fausse) il ne manque jamais de négateurs, cyniques ou convaincus de leur propre message.
Une étape supplémentaire est franchie dans les années 2015 où les médias et les autorités constatent :
- Les réseaux sociaux un moment envahis par la propagande jihadiste
- Interférences dans les élections par des médias de propagande internationaux, mais aussi par des trolls en lignes, de faux comptes, la diffusion de fakes et de hoaxes, des réseaux d’agitation numérique…
- Succès des théories dites complotistes (l’homme n’a jamais été sur la lune, les traces derrière les avions servent à nous empoisonner, des associations secrètes dirigent)
- Montée d’obscurantisme numérique contestant tout ce que dit la « science officielle » sur le cancer, les vaccins le climat, la médecine
- Prolifération des chaînes internationales d’information engagées au service et pays et de visions du monde diverses
- Progrès du piratage informatique (y compris pour s’emparer de données compromettantes et les mettre sur la place publique afin de compromettre un adversaire : hack & leak)
- Faux comptes, fausses identités, faux médias, faux mouvements d’opinion…
- Affolement chez les experts qui se mettent à parler d’ère de la post-vérité et à critiquer les réseaux sociaux où chacun vit dans sa bulle d’isolement et de confirmation
- Floraison de lois dites contre les fake news ou les discours de haine
- Perspectives technologiques peu rassurantes avec les deep fakes, ou des techniques de type Cambridge Analytica
- Inquiétude générale des élites quant à la possibilité de voir les certitudes scientifiques ou politiques sur lesquelles reposent nos systèmes attaquées par un scepticisme de masse, voire cibles d’une forme de guerre de l’information menée par des puissances étrangères, à travers des images, des paroles, mais surtout des bits électroniques.
- Intervention massive des acteurs du Net (Gafam…), de centaines d’associations et de médias dits de fact-cheking en une sorte de guerre du faux inédite parce que largement technologique.
C’est dans ce contexte que se développe l’épidémie de Covid 19 qui réunit à peu près toutes les conditions pour devenir une infodémie : la propagation quasi virale et sans frontières d’informations fausses ou douteuses ; certaines peuvent avoir des effets politique perturbateurs et d’autre des conséquences médicales, entraînant la mort de centaines de gens.
Le faux au temps du virus
L’infodémie combine
- Le caractère panique des grandes épidémies qui ont toujours suscité des paniques irrationnelles, des révélations (sur ce que les autorités cacheraient), la recherche de boucs émissaires…
- Une vitesse de propagation internationale, notamment par l’avion, qui en fait un symbole de la mondialisation ouverte.
- Des politiques nationales qui ont été tout sauf universelles et qui ont différé et évolué sur le confinement, le test, la fermeture des frontières, la quarantaine, etc., sans parler de communications successives souvent contradictoires, bref tout ce qui peut donner à la population l’impression qu’aucun gouvernement ne suit une certitude scientifique (ou alors, peut-être celui du voisin) et qu’on lui cache quelque chose.
- Des soupçons qui vont nourrir théories complotistes et accusations politiques : ingérences, subversion d’un autre pays
- De gros enjeux géopolitiques : qui est responsable de la première diffusion du virus ? Qui l’a bien arrêté ? Quel politique, quel système sont efficaces pour faire face à de telles épidémies ? Qui aide le mieux les autres et le fait mieux savoir ? Qui gagnera de la puissance notamment économique et de l’influence (soft power) après l’épidémie ? Qui est dépendant de qui ? Qui a le remède ou le vaccin et qui faut-il croire ? Quels intérêts (GAFAM p.e.) profitent de la crise, mais aussi quels régimes ?
- Des enjeux politiques et idéologiques. Quels nouveaux rapports entre groupe populaires et groupes élitaires ? Quelle revendication sera favorisée : plus de frontières, plus d’État providence, plus d’écologie, plus de multilatéralisme… ? Qu’est-ce que l’épidémie condamne : l’économie des flux, nos modes de vie, les égoïsmes nationaux, le productivisme, le capitalisme…
- Des enjeux stratégiques : qui déstabilise qui par des accusations ou des tactiques de division et de subversion ?
Ce processus complexe – cette méta-crise : une crise sanitaire qui déclenche des crises économiques, sociales, internationales, idéologiques… – a finalement une cible finale : notre cerveau. Nous, ou ceux avec qui nous partageons des convictions, des confiances (en la science, en l’autorité, en des sources, en des communautés…), notre réseau social. La crise sanitaire est devenue une crise de croyance. Là où la science aurait dû diagnostiquer, prescrire, prédire, règne la confusion de l’opinion et la peur de la manipulation.
Que le mensonge et l’imposture fassent partie de la vie politique depuis toujours – au moins depuis que Platon et Aristote les réfutaient – voilà qui est difficile à contester. Sous la forme :
- de la ruse (qui amène l’adversaire à penser faux sur la réalité des forces ou sur vos propres intentions),
- du mensonge des dirigeants (qui affirment généralement que tout va bien grâce à eux et que ce qui va mal est dû à des trahisons)
- ou des affabulations des démagogues (pour convaincre le peuple de les suivre, de se révolter, etc.) : l’affirmation que ce que l’on sait pertinemment ne pas exister existe devient un outil stratégique.
Mensonges et pouvoirs
Le vingtième siècle en a fait un usage particulièrement redoutable sous la double forme du mensonge totalitaire (qui consiste globalement à contraindre un peuple à croire en une réalité imaginaire et en une explication idéologique délirante du monde) et de la désinformation (par des réseaux, des médias qui émettent jusque sur le territoire adverse).
La chute de l’URSS n’a impliqué ni la fin des mensonges politiques (destinés à justifier des guerres p.e.), ni empêché les grandes paniques de l’opinion (tentées par les thèses complotistes au moment du onze septembre p.e.) ; on n’a vu ni l’unification de tous les cerveaux de la planète partageant les mêmes « valeurs » ni l’acceptation unanime des mêmes principes scientifiques par tous (ainsi sur les vaccins ou le réchauffement climatique).
Qu’il s’agisse de refuser les vérités de fait (nier des massacres avérés ou montrer, photos truquées à l’appui, des crimes imaginaires) ou même des vérités de raison (la terre est plate, la théorie de l’évolution est fausse) il ne manque jamais de négateurs, cyniques ou convaincus de leur propre message.
Une étape supplémentaire est franchie dans les années 2015 où les médias et les autorités constatent :
- Les réseaux sociaux un moment envahis par la propagande jihadiste
- Interférences dans les élections par des médias de propagande internationaux, mais aussi par des trolls en lignes, de faux comptes, la diffusion de fakes et de hoaxes, des réseaux d’agitation numérique…
- Succès des théories dites complotistes (l’homme n’a jamais été sur la lune, les traces derrière les avions servent à nous empoisonner, des associations secrètes dirigent)
- Montée d’obscurantisme numérique contestant tout ce que dit la « science officielle » sur le cancer, les vaccins le climat, la médecine
- Prolifération des chaînes internationales d’information engagées au service et pays et de visions du monde diverses
- Progrès du piratage informatique (y compris pour s’emparer de données compromettantes et les mettre sur la place publique afin de compromettre un adversaire : hack & leak)
- Faux comptes, fausses identités, faux médias, faux mouvements d’opinion…
- Affolement chez les experts qui se mettent à parler d’ère de la post-vérité et à critiquer les réseaux sociaux où chacun vit dans sa bulle d’isolement et de confirmation
- Floraison de lois dites contre les fake news ou les discours de haine
- Perspectives technologiques peu rassurantes avec les deep fakes, ou des techniques de type Cambridge Analytica
- Inquiétude générale des élites quant à la possibilité de voir les certitudes scientifiques ou politiques sur lesquelles reposent nos systèmes attaquées par un scepticisme de masse, voire cibles d’une forme de guerre de l’information menée par des puissances étrangères, à travers des images, des paroles, mais surtout des bits électroniques.
- Intervention massive des acteurs du Net (Gafam…), de centaines d’associations et de médias dits de fact-cheking en une sorte de guerre du faux inédite parce que largement technologique.
C’est dans ce contexte que se développe l’épidémie de Covid 19 qui réunit à peu près toutes les conditions pour devenir une infodémie : la propagation quasi virale et sans frontières d’informations fausses ou douteuses ; certaines peuvent avoir des effets politique perturbateurs et d’autre des conséquences médicales, entraînant la mort de centaines de gens.
Le faux au temps du virus
L’infodémie combine
- Le caractère panique des grandes épidémies qui ont toujours suscité des paniques irrationnelles, des révélations (sur ce que les autorités cacheraient), la recherche de boucs émissaires…
- Une vitesse de propagation internationale, notamment par l’avion, qui en fait un symbole de la mondialisation ouverte.
- Des politiques nationales qui ont été tout sauf universelles et qui ont différé et évolué sur le confinement, le test, la fermeture des frontières, la quarantaine, etc., sans parler de communications successives souvent contradictoires, bref tout ce qui peut donner à la population l’impression qu’aucun gouvernement ne suit une certitude scientifique (ou alors, peut-être celui du voisin) et qu’on lui cache quelque chose.
- Des soupçons qui vont nourrir théories complotistes et accusations politiques : ingérences, subversion d’un autre pays
- De gros enjeux géopolitiques : qui est responsable de la première diffusion du virus ? Qui l’a bien arrêté ? Quel politique, quel système sont efficaces pour faire face à de telles épidémies ? Qui aide le mieux les autres et le fait mieux savoir ? Qui gagnera de la puissance notamment économique et de l’influence (soft power) après l’épidémie ? Qui est dépendant de qui ? Qui a le remède ou le vaccin et qui faut-il croire ? Quels intérêts (GAFAM p.e.) profitent de la crise, mais aussi quels régimes ?
- Des enjeux politiques et idéologiques. Quels nouveaux rapports entre groupe populaires et groupes élitaires ? Quelle revendication sera favorisée : plus de frontières, plus d’État providence, plus d’écologie, plus de multilatéralisme… ? Qu’est-ce que l’épidémie condamne : l’économie des flux, nos modes de vie, les égoïsmes nationaux, le productivisme, le capitalisme…
- Des enjeux stratégiques : qui déstabilise qui par des accusations ou des tactiques de division et de subversion ?
Ce processus complexe – cette méta-crise : une crise sanitaire qui déclenche des crises économiques, sociales, internationales, idéologiques… – a finalement une cible finale : notre cerveau. Nous, ou ceux avec qui nous partageons des convictions, des confiances (en la science, en l’autorité, en des sources, en des communautés…), notre réseau social. La crise sanitaire est devenue une crise de croyance. Là où la science aurait dû diagnostiquer, prescrire, prédire, règne la confusion de l’opinion et la peur de la manipulation.
La désinformation repose sur la fabrication d’un faux message puis sa diffusion de façon qui semble neutre et dans un but stratégique. Il s’agit toujours d’agir négativement sur l’opinion publique pour affaiblir un camp. Ce camp peut être un pays, les tenants d’une idéologie, un groupe ou une entreprise...(on imagine mal une désinformation qui ferait l’éloge de ceux qu’elle vise).
Celui qui ne maîtrisera pas la technologie, ne maîtrisera peut-être demain ni sa souveraineté, ni la simple faculté de parler de la même réalité.
Nous subissons la terrible loi dite de Brandolini « La quantité d'énergie nécessaire pour réfuter du baratin est beaucoup plus importante que celle qui a permis de le créer".
Le postulat victimaire. Il consiste à évaluer une idée ou une affirmation à l’aune de la souffrance qu’elle cause à telle communauté ou de l’affront à telle identité imaginaire. Les idées ne sont plus soumises au critère de vérification mais de réception : ça fait mal ? D’où le besoin d’en contrôler la diffusion.