Statistiques de l’horreur : combien tuent les terroristes, et comment le djihad s’est globalisé ?
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Le chiffre global tétanise : 33.769 attentats «islamistes» (se réclamant d’un projet d’établissement de la charia et/ou du califat) ont couté la vie à au moins 167.096 personnes.
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Le chiffre global tétanise : 33.769 attentats «islamistes» (se réclamant d’un projet d’établissement de la charia et/ou du califat) ont couté la vie à au moins 167.096 personnes.
Dans les Justes de Camus, quand Kaliayev qui a tué un grand-duc Serge en 1905 dit « j’ai lancé un bombe sur votre tyrannie, non sur un homme », le policier Souratov lui répond « Sans doute, mais c’est un homme qui l’a reçue ».
Mesurer l’acte terroriste
Tout acte terroriste se mesure en effet sur deux échelles. Mots et images d’un côté (propagande par le fait), morts et ravages de l’autre (guerre du pauvre). Sachant que le terroriste recherche un effet psychologique si ce n’est publicitaire plus que militaire, ce qu’il attend de son action est affaire d’impact médiatique, de panique ou de dignité des citoyens, de réaction du gouvernement qui négocie ou réprime, de mobilisation ou de solidarité, de détermination des camps opposés, de mentalités changées ou de blessures historiques inscrites dans les mémoires. Un attentat, par définition perpétré par des forces non étatiques (des citoyens qui se donnent le droit de faire la guerre), frappe une cible représentative et recherche un effet politique. Tuer c’est signifier.
Le chiffre global tétanise : 33.769 attentats «islamistes» (se réclamant d’un projet d’établissement de la charia et/ou du califat) ont couté la vie à au moins 167.096 personnes.
Mais, si l’on laisse cette logique du message, il faut quand même faire une comptabilité morbide : qui tue qui, avec quelle fréquence et quelle efficacité ? Cette mesure se révèle dans une étude de la FONDAPOL sur quarante ans d’attentats islamiques depuis 1979 (intervention soviétique en Afghanistan et prise d’otages de la Mecque). Le chiffre global tétanise : 33.769 attentats «islamistes» (se réclamant d’un projet d’établissement de la charia et/ou du califat) ont couté la vie à au moins 167.096 personnes.
On fait souvent remarquer qu’ils ont surtout frappé des musulmans, ce qui n’est pas illogique pour des groupes qui veulent prendre le pouvoir en Afghanistan, en Irak ou en Algérie, etc., alors que seulement 0,5% des attentats ont eu lieu en Europe. Par ailleurs, des groupes jihadistes lourdement armés dans des pays livrés à la guerre civile font davantage de dommages qu’un homme courant avec un couteau dans Paris.
Il y a bien sûr des phases historiques. En simplifiant à l’extrême :
Dans les vingt premières années, le terrorisme islamiste (avec sa composante chiite) tue surtout en relation avec les conflits politiques en Algérie, au Liban et en Égypte.
Après le 11 septembre (où la stratégie d’al Qaïda contre « l’ennemi lointain » fait trois mille morts) puis, avec les guerres qui s’ensuivent, et jusqu’en 2012, le nombre de victimes (38186) explose, Afghanistan, Pakistan et Irak souffrant le plus de pertes. Le djihad s’est globalisé (y compris en ligne).
Le djihad s’est globalisé
Dans les dernières années, depuis 2013, avec la montée de l’État islamique et de Boko Haram, donc les tenants de l’établissement du califat ici et maintenant, ayant permission d’exécuter quiconque n’est pas un salafiste fondamentaliste, la létalité des attentats croît encore (28198 morts en 2014, année record, causés par « seulement » 4835 attentats suivant l’étude). Comme si, plus le jihadisme élargissait ses ambitions (déstabiliser des pays, frapper le grand Satan, fonder le califat…) plus il devenait mortifère.
Des explications viennent à l’esprit : les moyens employés (explosifs en particulier), la technique de l’attentat suicide (qui n’est pas un monopole de Daech), l’indistinction des cibles « molles » (on ne frappe pas que des complices de l’État ennemi comme un soldat, mais tout civil incroyant ou « hypocrite », tout mauvais musulman, est victime légitime). Se surajoute l’autorisation morale et le conseil stratégique de frapper soit de façon organisée comme le commando du Bataclan, soit en prenant un couteau, une pierre ou une voiture (comme le recommandait al Adnani, porte-parole et ministre des attentats de Daech, tué en 2016).
Il n’y a aucune raison que nos coalitions armées ou nos programmes de déradicalisation en viennent prochainement à bout.
Reste que, sur deux générations et sous toutes les latitudes, une même idéologie, s’emparant de causes territoriales ou d’aspirations universelles, a pu inciter des milliers de gens à tuer et à mourir pour l’établissement d’un système théologico-politique. Et qu’il n’y a aucune raison que nos coalitions armées ou nos programmes de déradicalisation en viennent prochainement à bout.
En ces temps de commémoration du 13 novembre 2015, rappelons que la France (71 attentats islamistes en quarante ans, 263 morts depuis les attaques de Mohamed Merah) détient un triste record européen. Il peut s’expliquer par notre politique d’intervention et par notre réputation de patrie des athées (c’étaient du moins les motivations proclamées des tueurs du Bataclan). Ce bilan, des jihadistes de retour de Syrie, aguerris au front et dotés de meilleures « techniques » peuvent-ils l’aggraver ? Mais surtout quelles armes symboliques avons-nous inventées face à ceux qui tuent pour vivre éternellement ?
Dans les Justes de Camus, quand Kaliayev qui a tué un grand-duc Serge en 1905 dit « j’ai lancé un bombe sur votre tyrannie, non sur un homme », le policier Souratov lui répond « Sans doute, mais c’est un homme qui l’a reçue ».
Mesurer l’acte terroriste
Tout acte terroriste se mesure en effet sur deux échelles. Mots et images d’un côté (propagande par le fait), morts et ravages de l’autre (guerre du pauvre). Sachant que le terroriste recherche un effet psychologique si ce n’est publicitaire plus que militaire, ce qu’il attend de son action est affaire d’impact médiatique, de panique ou de dignité des citoyens, de réaction du gouvernement qui négocie ou réprime, de mobilisation ou de solidarité, de détermination des camps opposés, de mentalités changées ou de blessures historiques inscrites dans les mémoires. Un attentat, par définition perpétré par des forces non étatiques (des citoyens qui se donnent le droit de faire la guerre), frappe une cible représentative et recherche un effet politique. Tuer c’est signifier.
Le chiffre global tétanise : 33.769 attentats «islamistes» (se réclamant d’un projet d’établissement de la charia et/ou du califat) ont couté la vie à au moins 167.096 personnes.
Mais, si l’on laisse cette logique du message, il faut quand même faire une comptabilité morbide : qui tue qui, avec quelle fréquence et quelle efficacité ? Cette mesure se révèle dans une étude de la FONDAPOL sur quarante ans d’attentats islamiques depuis 1979 (intervention soviétique en Afghanistan et prise d’otages de la Mecque). Le chiffre global tétanise : 33.769 attentats «islamistes» (se réclamant d’un projet d’établissement de la charia et/ou du califat) ont couté la vie à au moins 167.096 personnes.
On fait souvent remarquer qu’ils ont surtout frappé des musulmans, ce qui n’est pas illogique pour des groupes qui veulent prendre le pouvoir en Afghanistan, en Irak ou en Algérie, etc., alors que seulement 0,5% des attentats ont eu lieu en Europe. Par ailleurs, des groupes jihadistes lourdement armés dans des pays livrés à la guerre civile font davantage de dommages qu’un homme courant avec un couteau dans Paris.
Il y a bien sûr des phases historiques. En simplifiant à l’extrême :
Dans les vingt premières années, le terrorisme islamiste (avec sa composante chiite) tue surtout en relation avec les conflits politiques en Algérie, au Liban et en Égypte.
Après le 11 septembre (où la stratégie d’al Qaïda contre « l’ennemi lointain » fait trois mille morts) puis, avec les guerres qui s’ensuivent, et jusqu’en 2012, le nombre de victimes (38186) explose, Afghanistan, Pakistan et Irak souffrant le plus de pertes. Le djihad s’est globalisé (y compris en ligne).
Le djihad s’est globalisé
Dans les dernières années, depuis 2013, avec la montée de l’État islamique et de Boko Haram, donc les tenants de l’établissement du califat ici et maintenant, ayant permission d’exécuter quiconque n’est pas un salafiste fondamentaliste, la létalité des attentats croît encore (28198 morts en 2014, année record, causés par « seulement » 4835 attentats suivant l’étude). Comme si, plus le jihadisme élargissait ses ambitions (déstabiliser des pays, frapper le grand Satan, fonder le califat…) plus il devenait mortifère.
Des explications viennent à l’esprit : les moyens employés (explosifs en particulier), la technique de l’attentat suicide (qui n’est pas un monopole de Daech), l’indistinction des cibles « molles » (on ne frappe pas que des complices de l’État ennemi comme un soldat, mais tout civil incroyant ou « hypocrite », tout mauvais musulman, est victime légitime). Se surajoute l’autorisation morale et le conseil stratégique de frapper soit de façon organisée comme le commando du Bataclan, soit en prenant un couteau, une pierre ou une voiture (comme le recommandait al Adnani, porte-parole et ministre des attentats de Daech, tué en 2016).
Il n’y a aucune raison que nos coalitions armées ou nos programmes de déradicalisation en viennent prochainement à bout.
Reste que, sur deux générations et sous toutes les latitudes, une même idéologie, s’emparant de causes territoriales ou d’aspirations universelles, a pu inciter des milliers de gens à tuer et à mourir pour l’établissement d’un système théologico-politique. Et qu’il n’y a aucune raison que nos coalitions armées ou nos programmes de déradicalisation en viennent prochainement à bout.
En ces temps de commémoration du 13 novembre 2015, rappelons que la France (71 attentats islamistes en quarante ans, 263 morts depuis les attaques de Mohamed Merah) détient un triste record européen. Il peut s’expliquer par notre politique d’intervention et par notre réputation de patrie des athées (c’étaient du moins les motivations proclamées des tueurs du Bataclan). Ce bilan, des jihadistes de retour de Syrie, aguerris au front et dotés de meilleures « techniques » peuvent-ils l’aggraver ? Mais surtout quelles armes symboliques avons-nous inventées face à ceux qui tuent pour vivre éternellement ?
Quand ceux qui n’ont plus rien partagent le symbole du grotesque et de la vengeance, leur défi nihiliste nous annonce un singulier retour du conflit.
Les black blocs, groupe affinitaire et temporaire, excellent dans la programmation numérique de l’action physique. Nihilisme symbolique et individualisme surexcité, le tout sur fond de communautés numériques : c’est bien la troisième génération de la révolte dont parle Régis Debray : sans contre-projet, mais dans l’action comme révélation de soi.
Quand l’Iran se coupe de la Toile pour isoler ses activistes, il révèle une fracture bien plus profonde.
Mortels et emblématiques les attentats de janvier 2015 faisaient descendre des millions de Français dans la rue. Comment réagir face à la routine des attaques au couteau, cinq ans plus tard ?