Véran, Raoult, la morale, la science… À qui devons-nous obéir ?

Date

4 juin 2020

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Résumé

Quand une partie de la population refuse les vaccins par scepticisme, et que la ligne de clivage idéologique passe entre partisans de Raoult ou de Véran, l’autorité de la Science en prend un coup.

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4 juin 2020

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Résumé

Quand une partie de la population refuse les vaccins par scepticisme, et que la ligne de clivage idéologique passe entre partisans de Raoult ou de Véran, l’autorité de la Science en prend un coup.

Au cours des dernières semaines, nous nous sommes soumis, aux politiques qui nous consignaient à la maison, aux experts qui nous disaient de nous tenir à telle distance ou de nous laver les mains de telle manière, aux administrations qui nous envoyaient de nouveaux formulaires électroniques. Et certes, jouer au rebelle – ne pas mettre masque ou organiser un pot d’amis provocateur – aurait pu coûter la vie à grand-père. Pourquoi se révolter, alors ? On ne dresse pas de barricades contre l’OMS ni contre le bon docteur de BFMTV. Assommés de recommandations, d’ailleurs contradictoires et variables, d’un pays l’autre, d’un média à un réseau social, nous avons obéi. Or le mystère de l’obéissance, de la Boétie, ami rebelle de Montaigne, à Stanley Milgram (auteur d’une expérience sur la soumission à l’autorité surtout quand elle se déguise en blouse blanche), ne date pas d’hier. Mais il se pourrait que nous nous soumettions à des principes différents et à des outils (idéologie et médiologie) qui diffèrent suivant les époques.

Obéir ?

À l’autorité ? Ce mot n’est plus très populaire depuis une cinquantaine d’années et nous sommes tous devenus, au moins en paroles, des mutins de Panurge (dixit Muray). L’autorité qui se réclame de la légitimité de la fonction, du prestige de l’origine (ainsi du peuple français) ou de la confiance envers le chef n’a plus bonne presse. Le hiérarchique, le prestige qui provoque enthousiasme et dévouement, le respect et la tradition, le pyramidal et le garde-à-vous, tout cela n’est pas très populaire en ces temps de déconstruction tous azimuts et de dénonciation à tout va. Et pourtant comment choisissons nous de prendre de la chloroquine ou d’applaudir au confinement, sinon par la confiance que nous accordons à telle étude que nous n’avons pas lue ou à telle statistique que nous n’avons pas vérifiée ?

La statut de la science

En l’occurrence, l’autorité la plus évoquée, médecins, épidémiologues et autres experts est parue bien divisée. Quand une partie de la population refuse les vaccins par scepticisme, et que la ligne de clivage idéologique passe entre partisans de Didier Raoult ou d’Olivier Véran, l’autorité de la Science en prend un coup. C’est d’autant plus remarquable que le politique se toujours davantage de ladite Science pour expliquer ses errements et faire défiler la litanie des chiffres, celui des morts et celui des milliards qu’il va créer. L’incompétence que nous devrions confesser (l’auteur de ces lignes n’a pas lu les études du Lancet ou celles qui précédaient pour former son jugement) ne nous empêche pas de ricaner des sachants, mais pas tous les mêmes.

Obéir à la peur ? Sans doute… Une phobocratie (règne de la peur) semble en train de s’installer : soumettez-vous pour sauver votre vie et assurer votre sécurité ? Il y a de cela… Le règne de la crainte et de l’urgence domine l’époque. Peur des épidémies et des catastrophes, peur du réveil de la Nature offensée, peur des passions obscures – populisme et nationalisme -, peur de la haine et de la post-vérité, peur du désordre… Si l’on retire du discours public tout ce qui relève de cet affect – la crise économique, la fracture sociale, l’insécurité et les extrémismes, l’effondrement écologique, les foules haineuses, Trump et la Chine, la disparition de l’espèce…, il ne reste pas grand chose. Sinon, peut-être les colères contradictoires des ceux d’en bas, les Gilets jaunes, les périphériques, les syndiqués, les protestataires, le bloc populaire ?

Les principes qui dominent notre époque

Disons plutôt que le principe d’autorité (il faut obéir parce que c’est bon ou juste) semble concurrencé par trois autres qui dominent notre époque :

  • Le progressisme en tant que conviction que l’ancien est intrinsèquement inférieur au présent et que celui qui parle du nouveau a forcément raison. Le macronisme, culte de mouvement, soumission à la force des choses et à la puissance des évolutions sociétales, avec son nouveau monde innovant et son bougisme infatigable en est un assez bon exemple. Mélange de déterminisme historique et de supériorité morale (les progrès de la conscience humaine), ce progressisme gagne à tous les coups. Qu’objecter au mouvement du réel ? Discours de la nécessité.
  • Le solutionnisme qui est la conviction que toute question suppose une réponse technique ou que tout doit être analysé comme un défi numérique. Ce néologisme de E. Morozov désigne la mentalité de la Silicon Valley pour qui il n’existe de « problème » humain que ne puise résoudre un traitement adéquat de l’information, telle l’IA pour prédire les risques et opportunités ou d’une bonne appli pour décider mieux qu’un cerveau. Cette vision du règne des choses est forcément technocratique. Discours de la technicité.
  • Le précautionisme (nous empruntons l’expression à M. Crawford) en tant que volonté d’éliminer toute forme de risque, celui menace la vie, le confort et la santé par le biopouvoir, mais aussi le risque « spirituel » de mauvaises pensées (phobies, fantasmes, préjugés et discriminations) à combattre par le politiquement correct. Et, bien sûr le danger qui menace la nature. Le précautionisme justifie toute politique destinée à empêcher un danger futur ou un malheur probable (ce qui ringardise le vieux projet politique de Bien commun au profit du moindre Mal). Discours de la sécurité.

La conjonction des idées – 1 que c’est forcément ainsi, 2 qu’il faut laisser calculer les calculateurs et 3 que nous devons borner notre ambition à la diminution du risque – n’a pas l’air bien redoutable si on la résume sous cette forme. Disons un poil moins complexe que le matérialisme dialectique. Et pourtant cela marche ne serait-ce qu’en discréditant toute idée critique comme potentiellement bête (complotisme & co.) ou méchante (haine). Jusqu’au jour où nous accepterons peut-être d’assumer le conflit et le politique.

Au cours des dernières semaines, nous nous sommes soumis, aux politiques qui nous consignaient à la maison, aux experts qui nous disaient de nous tenir à telle distance ou de nous laver les mains de telle manière, aux administrations qui nous envoyaient de nouveaux formulaires électroniques. Et certes, jouer au rebelle – ne pas mettre masque ou organiser un pot d’amis provocateur – aurait pu coûter la vie à grand-père. Pourquoi se révolter, alors ? On ne dresse pas de barricades contre l’OMS ni contre le bon docteur de BFMTV. Assommés de recommandations, d’ailleurs contradictoires et variables, d’un pays l’autre, d’un média à un réseau social, nous avons obéi. Or le mystère de l’obéissance, de la Boétie, ami rebelle de Montaigne, à Stanley Milgram (auteur d’une expérience sur la soumission à l’autorité surtout quand elle se déguise en blouse blanche), ne date pas d’hier. Mais il se pourrait que nous nous soumettions à des principes différents et à des outils (idéologie et médiologie) qui diffèrent suivant les époques.

Obéir ?

À l’autorité ? Ce mot n’est plus très populaire depuis une cinquantaine d’années et nous sommes tous devenus, au moins en paroles, des mutins de Panurge (dixit Muray). L’autorité qui se réclame de la légitimité de la fonction, du prestige de l’origine (ainsi du peuple français) ou de la confiance envers le chef n’a plus bonne presse. Le hiérarchique, le prestige qui provoque enthousiasme et dévouement, le respect et la tradition, le pyramidal et le garde-à-vous, tout cela n’est pas très populaire en ces temps de déconstruction tous azimuts et de dénonciation à tout va. Et pourtant comment choisissons nous de prendre de la chloroquine ou d’applaudir au confinement, sinon par la confiance que nous accordons à telle étude que nous n’avons pas lue ou à telle statistique que nous n’avons pas vérifiée ?

La statut de la science

En l’occurrence, l’autorité la plus évoquée, médecins, épidémiologues et autres experts est parue bien divisée. Quand une partie de la population refuse les vaccins par scepticisme, et que la ligne de clivage idéologique passe entre partisans de Didier Raoult ou d’Olivier Véran, l’autorité de la Science en prend un coup. C’est d’autant plus remarquable que le politique se toujours davantage de ladite Science pour expliquer ses errements et faire défiler la litanie des chiffres, celui des morts et celui des milliards qu’il va créer. L’incompétence que nous devrions confesser (l’auteur de ces lignes n’a pas lu les études du Lancet ou celles qui précédaient pour former son jugement) ne nous empêche pas de ricaner des sachants, mais pas tous les mêmes.

Obéir à la peur ? Sans doute… Une phobocratie (règne de la peur) semble en train de s’installer : soumettez-vous pour sauver votre vie et assurer votre sécurité ? Il y a de cela… Le règne de la crainte et de l’urgence domine l’époque. Peur des épidémies et des catastrophes, peur du réveil de la Nature offensée, peur des passions obscures – populisme et nationalisme -, peur de la haine et de la post-vérité, peur du désordre… Si l’on retire du discours public tout ce qui relève de cet affect – la crise économique, la fracture sociale, l’insécurité et les extrémismes, l’effondrement écologique, les foules haineuses, Trump et la Chine, la disparition de l’espèce…, il ne reste pas grand chose. Sinon, peut-être les colères contradictoires des ceux d’en bas, les Gilets jaunes, les périphériques, les syndiqués, les protestataires, le bloc populaire ?

Les principes qui dominent notre époque

Disons plutôt que le principe d’autorité (il faut obéir parce que c’est bon ou juste) semble concurrencé par trois autres qui dominent notre époque :

  • Le progressisme en tant que conviction que l’ancien est intrinsèquement inférieur au présent et que celui qui parle du nouveau a forcément raison. Le macronisme, culte de mouvement, soumission à la force des choses et à la puissance des évolutions sociétales, avec son nouveau monde innovant et son bougisme infatigable en est un assez bon exemple. Mélange de déterminisme historique et de supériorité morale (les progrès de la conscience humaine), ce progressisme gagne à tous les coups. Qu’objecter au mouvement du réel ? Discours de la nécessité.
  • Le solutionnisme qui est la conviction que toute question suppose une réponse technique ou que tout doit être analysé comme un défi numérique. Ce néologisme de E. Morozov désigne la mentalité de la Silicon Valley pour qui il n’existe de « problème » humain que ne puise résoudre un traitement adéquat de l’information, telle l’IA pour prédire les risques et opportunités ou d’une bonne appli pour décider mieux qu’un cerveau. Cette vision du règne des choses est forcément technocratique. Discours de la technicité.
  • Le précautionisme (nous empruntons l’expression à M. Crawford) en tant que volonté d’éliminer toute forme de risque, celui menace la vie, le confort et la santé par le biopouvoir, mais aussi le risque « spirituel » de mauvaises pensées (phobies, fantasmes, préjugés et discriminations) à combattre par le politiquement correct. Et, bien sûr le danger qui menace la nature. Le précautionisme justifie toute politique destinée à empêcher un danger futur ou un malheur probable (ce qui ringardise le vieux projet politique de Bien commun au profit du moindre Mal). Discours de la sécurité.

La conjonction des idées – 1 que c’est forcément ainsi, 2 qu’il faut laisser calculer les calculateurs et 3 que nous devons borner notre ambition à la diminution du risque – n’a pas l’air bien redoutable si on la résume sous cette forme. Disons un poil moins complexe que le matérialisme dialectique. Et pourtant cela marche ne serait-ce qu’en discréditant toute idée critique comme potentiellement bête (complotisme & co.) ou méchante (haine). Jusqu’au jour où nous accepterons peut-être d’assumer le conflit et le politique.

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