Et Castex mit la liberté d’expression à l’index
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Résumé
La confiance dans la parole gouvernementale en a pris un coup, et que ce n’est pas en étant très “pédagogiques”, comme l’a déclaré Jean Castex dans cette même interview, que la confiance réapparaîtra comme par magie. Quant aux réseaux sociaux, une approche plus mesurée et équilibrée à leur égard ne serait pas un luxe.
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La confiance dans la parole gouvernementale en a pris un coup, et que ce n’est pas en étant très “pédagogiques”, comme l’a déclaré Jean Castex dans cette même interview, que la confiance réapparaîtra comme par magie. Quant aux réseaux sociaux, une approche plus mesurée et équilibrée à leur égard ne serait pas un luxe.
Dans son édition du jeudi 16 juillet, Le Parisien consacrait sa une à l’appel du nouveau Premier ministre, Jean Castex, en faveur d’une restauration de la confiance. On se demande bien pourquoi une telle déclaration mérite de s’étaler en couverture, tant la formule, usée jusqu’à la moelle et jusqu’à la corde ne provoque plus aucune réaction, comme si le fil la reliant avec l’opinion avait décidément cassé. Si la confiance s’obtenait à l’Assemblée nationale ou par un voeu, pieu forcément, cela se saurait, et d’autres avant Jean Castex auraient réussi à la restaurer. Et pourtant, c’est donc sous les auspices et le haut patronage d’un concept creux, évanescent, aléatoire et erratique que Jean Castex semble vouloir tracer son sillon. Et c’est guidé par cet objectif que l’ancien maire de Prades, dans son appel du 14 juillet, prononcé en comité restreint devant un parterre trié sur le volet et composé de lecteurs du quotidien francilien, a posé les jalons de sa grille de lecture sur la problématique. Une grille de lecture toute embryonnaire certes mais dont, nous nous faisons forts, d’estimer qu’elle ne sera rien de plus qu’une énième resucée des déclarations des gouvernements sortants, et des devanciers du successeur d’Edouard Philippe.
L’introuvable acte de décès de la confiance
Il faut dire que toute réflexion sur la confiance est viciée dès ses prolégomènes, et que les différents restaurateurs qui se sont succédés ont réussi le tour de passe-passe, à la Houdini, de proposer une étiologie, lacunaire, parcellaire, si ce n’est inexistante. Ces habiles prestidigitateurs ont posé la question de la confiance comme l’alpha et l’oméga d’un nombre incalculable de problèmes et ont transcrit leur quête éperdue de restauration dans nombre de lois et de politiques publiques, alors même que nul ne sait quand la confiance s’est étiolée. Est-ce un phénomène récent, un phénomène soudain et impromptu ou bien, au contraire, avons-nous affaire à phénomène au long cours, qui années après années, décennies après décennies, aurait corrodé la pureté et l’intégrité du matériau dont la confiance est faite ? Nul ne le sait, et celui qui sortirait des rangs, le pas léger et l’esprit clair, pour pointer du doigt la date du grand effondrement serait, au mieux, un simple d’esprit, au pire un énième essayiste en mal d’idées proposant en 160 pages, de police 24 et d’espacement 2, une nouvelle religion sur la confiance. Ces essayistes sont connus, et dans leur besace, de bien faible contenance au demeurant, ils sortent toujours avec beaucoup de virtuosité et d’adresse les mots-clés qui parviennent à déverrouiller les cerveaux des décideurs, dont la mort de la confiance empêche plus sûrement que celle de Dieu (ou des Dieux, ne soyons pas restrictifs) de trouver la paix dans le sommeil du brave. Théories du complot, réseaux sociaux, fake news, pseudonymat, anonymat, et selon les saisons une louche (parfois un seau, mais cela dépend de la pression atmosphérique et politique) de Vodka pour relever à la sauce Popov de ce gloubi-boulga intellectuel. Et pourtant, nos scientifiques en herbe, et en verve, parés de leurs robes blanches statutaires, dissèquent à longueur de journées un corps introuvable. Pourtant, aucun équivalent de la rigidité ou la lividité cadavérique, ni encore même de la température du corps, dont on sait qu’elle baisse d’environ 1° par heure écoulée après le passage dans l’au-delà, ne peuvent être mobilisés pour essayer de dater avec précision la mort de cette confiance. Le mécanisme horloger qui a rythmé la vie de la confiance s’est arrêté net, comme soufflé par une explosion qui aurait figé les aiguilles qui jusque-là trotté lestement, mais personne n’a jamais retrouvé cette montre, et personne n’a jamais pu examiner le mouvement ETA qui l’animait pour déterminer avec précision la date exacte, l’heure précise, la seconde unique et indépassable qui firent basculer la confiance dans les nimbes de la confusion généralisée. Fâcheux, n’est-il pas ?D’autant plus fâcheux que l’histoire, comme bien souvent, ne nous aide guère pour éclaircir cet insondable mystère, et cette épineuse question de la datation qui nous obsède, à défaut d’empêcher les responsables politiques de tourner en rond. Et en guise d’histoire qui mieux que Michel Audiard peut nous rappeler que l’âge d’or de la confiance est, quelque peu, mythifiée et mystifiée. Jean Gabin, alias Ferdinand Maréchal, dit “Le Dabe”, dans Le cave se rebiffe, chef d’oeuvre d’Audiard, sur un texte non moins fameux d’Albert Simonin, ne nous invite-t-il pas à adopter une approche diachronique en matière de confiance, car après tout “depuis Adam se laissant enlever une côte jusqu’à Napoléon attendant Grouchy, toutes les grandes affaires qui ont foiré étaient basées sur la confiance”. Pourtant, et sauf erreur de notre part, qui résulterait très certainement d’une vision linéaire et progressive de l’histoire, Twitter n’existait pas du temps d’Adam, et Napoléon ne publiait pas sur TikTok les vidéos de sa marche sur l’Europe. Et puis quitte à s’autoriser une parenthèse historique, peut-être rappellerons nous que les 140.000 émigrés, pour cause de Révolution française, ont toujours eu une confiance mesurée dans l’ordre républicain et les valeurs qui l’ont animé, de Valmy à la place de la Révolution-Concorde, voire parfois en faisant un détour sur certains pics de sans-culottes. De même qu’on peut légitimement douter de la confiance qui pu exister entre les nostalgiques de Brumaire, et la restauration de la monarchie en France. Et sur le terrain scientifique, encore que, en l’espèce il s’agisse davantage de son négatif, il n’est qu’ à regarder la théorie de discours plus ou moins fumeux, nés au XIXe siècle, sur l’électricité, les trains ou encore les vaccins, où pour ces derniers ont se bornera à souligner que la “Ligue universelle des antivaccinateurs” a vu le jour en 1880, soit quelques années avant la création de Twitter, pour se convaincre que définitivement la concorde autour de la confiance n’a jamais été de ce monde.
L’éternel retour dans l’Allier
Alors, et partant de là, on se demande bien ce que viennent faire Vichy, dont les efforts de l’office du tourisme locale pour présenter une autre image de la ville, afin de faire oublier l’infâme séquence, ressemblent au mythe de Sisyphe, et les réseaux sociaux, dans cette histoire de confiance. On peut également se questionner sur l’opportunité de faire référence, sur ce sujet spécifique bien entendu, à Vichy un 14 juillet, de surcroît deux jours avant les commémorations de la rafle du Vel’ d’Hiv, et alors que la France commémorait également les 25 ans de la reconnaissance, par la voix de Jacques Chirac, de sa responsabilité. On peut légitimement se demander en quoi l’évocation, par analogie, de la part de Jean Castex du régime de Vichy, et de l’opinion publique durant cette époque, apporte quelque chose de pertinent dans la compréhension du phénomène anthropologique, pour citer la formule d’Emmanuel Macron, que les réseaux sociaux manifestent et induisent. D’autant que, et il faut bien le reconnaître, le propos de Jean Castex sur les réseaux sociaux est pour le moins simpliste, et même populiste – dans sa version chic et matinée de respectabilité. Évoquant l’anonymat, qui n’existe pas vraiment, et n’est dans les faits que l’apanage d’une infime minorité d’utilisateurs capables d’être de véritables ghosts en France, Jean Castex estime que sa généralisation conduit les réseaux sociaux à devenir “le régime de Vichy”. On aurait pu apprécier un mutatis mutandis ou sa version contemporaine, le toutes choses égales par ailleurs, mais visiblement Jean Castex, que d’aucuns, à la suite de Jean-Luc Mélenchon, on vite qualifié d’expert en circonvolution, a choisi sur ce sujet d’y aller à la hussarde, sabre au clair.
L’Armée des ombres
De là à dire que Vichy aurait le monopole exclusif du port du pseudonyme ? On aurait tort de se priver de remarquer que Jean Moulin en possédait plusieurs quand son bourreau, Klaus Barbie, agissait quant à lui à visage découvert. Et quand Albert Camus signait du nom de Bauchart dans le journal Combat en 1943, Lucien Rebatet publiait l’année précédente Les Décombres, son pamphlet antisémite, en utilisant son vrai nom. Joseph Darnand, héros de la Grande guerre et de la campagne de France, avant de servir dans tous ses excès et toute son ignominie Vichy, paraissait quant à lui moins soucieux de protéger son identité que le général Philippe Leclerc de Hautecloque. Dans le même temps, ce serait faiblesse de croire que les innombrables correspondants des Kommandaturs de France et de Navarre aient systématiquement caché leur véritable nom, comme si beaucoup d’entre eux n’attendaient pas quelques choses de leurs démarches avec l’administration du Reich. Le mal et la honte sont des notions toutes relatives d’un point de vue individuel, et ce serait faiblesse de croire que les mauvaises actions se commettent uniquement dans l’ombre. Misère de la comparaison historique et de la morale qui, loin de simplifier la lecture du présent l’embrouille encore plus jusqu’à rendre ce dernier parfaitement incompréhensible. Misère également de la comparaison historique lorsque cette dernière fait un peu flop, et vise à côté. Car, et en nous gardant bien, pour notre part, de mettre sur le même pied nos contemporains et les Français de 40, force est de constater que le parti de l’anonymat et de l’ombre, qu’on se rappelle le titre du film de Melville, adapté de L’Armée des ombres de Joseph Kessel paru en 1943, a eu un concours (fort appréciable !) pour laver l’ignominie de la Collaboration, quand les officiels paradaient entre l’Hôtel du Parc et le Majestic, après avoir voté les pleins pouvoirs, à la quasi unanimité, en toute transparence, à Pétain. Ce sont les résistants qui de Philippe de Hautecloque, avec “Leclerc” comme nom de guerre, à Charles Pasqua, entré dans la Résistance à 15 ans sous le pseudonyme de “Prairie”, quand les Miliciens, ne prenaient guère la peine de se cacher. En somme, et loin de nous l’idée de faire à Jean Castex une quelconque leçon d’histoire, reconnaissons toutefois que le plus court chemin qui mène à l’Âge d’or de la confiance, passe par un retour à l’irrémédiable complexité du réel. La confiance ne se perd pas tant sur les réseaux sociaux, que dans le slalom géant avec la vérité réalisé par Sibeth Ndiaye lorsqu’il s’agissait d’expliquer aux Français si oui, ou non, les masques étaient inutiles. En quelques semaines, ces derniers sont passés d’inutiles (quand nous n’en avions pas ?), à dangeureux (quand décidément nous n’arrivions vraiment pas à en avoir ?), à pouvant être utiles (quand les premiers Antonov ont atterri sur nos territoires ?), pour arriver sur l’acmé du grotesque, une fois les stocks remplis, avec l’obligation de porter ces derniers dans les lieux publics clôts dès le 20 juillet. Gageons que la confiance dans la parole gouvernementale en a pris un coup, et que ce n’est pas en étant très “pédagogiques”, comme l’a déclaré Jean Castex dans cette même interview, que la confiance réapparaîtra comme par magie. Quant aux réseaux sociaux, une approche plus mesurée et équilibrée à leur égard ne serait pas un luxe.
Crédit photo : ©Ludovic Marin / AFP, tirée de la1ere.francetvinfo.fr
Dans son édition du jeudi 16 juillet, Le Parisien consacrait sa une à l’appel du nouveau Premier ministre, Jean Castex, en faveur d’une restauration de la confiance. On se demande bien pourquoi une telle déclaration mérite de s’étaler en couverture, tant la formule, usée jusqu’à la moelle et jusqu’à la corde ne provoque plus aucune réaction, comme si le fil la reliant avec l’opinion avait décidément cassé. Si la confiance s’obtenait à l’Assemblée nationale ou par un voeu, pieu forcément, cela se saurait, et d’autres avant Jean Castex auraient réussi à la restaurer. Et pourtant, c’est donc sous les auspices et le haut patronage d’un concept creux, évanescent, aléatoire et erratique que Jean Castex semble vouloir tracer son sillon. Et c’est guidé par cet objectif que l’ancien maire de Prades, dans son appel du 14 juillet, prononcé en comité restreint devant un parterre trié sur le volet et composé de lecteurs du quotidien francilien, a posé les jalons de sa grille de lecture sur la problématique. Une grille de lecture toute embryonnaire certes mais dont, nous nous faisons forts, d’estimer qu’elle ne sera rien de plus qu’une énième resucée des déclarations des gouvernements sortants, et des devanciers du successeur d’Edouard Philippe.
L’introuvable acte de décès de la confiance
Il faut dire que toute réflexion sur la confiance est viciée dès ses prolégomènes, et que les différents restaurateurs qui se sont succédés ont réussi le tour de passe-passe, à la Houdini, de proposer une étiologie, lacunaire, parcellaire, si ce n’est inexistante. Ces habiles prestidigitateurs ont posé la question de la confiance comme l’alpha et l’oméga d’un nombre incalculable de problèmes et ont transcrit leur quête éperdue de restauration dans nombre de lois et de politiques publiques, alors même que nul ne sait quand la confiance s’est étiolée. Est-ce un phénomène récent, un phénomène soudain et impromptu ou bien, au contraire, avons-nous affaire à phénomène au long cours, qui années après années, décennies après décennies, aurait corrodé la pureté et l’intégrité du matériau dont la confiance est faite ? Nul ne le sait, et celui qui sortirait des rangs, le pas léger et l’esprit clair, pour pointer du doigt la date du grand effondrement serait, au mieux, un simple d’esprit, au pire un énième essayiste en mal d’idées proposant en 160 pages, de police 24 et d’espacement 2, une nouvelle religion sur la confiance. Ces essayistes sont connus, et dans leur besace, de bien faible contenance au demeurant, ils sortent toujours avec beaucoup de virtuosité et d’adresse les mots-clés qui parviennent à déverrouiller les cerveaux des décideurs, dont la mort de la confiance empêche plus sûrement que celle de Dieu (ou des Dieux, ne soyons pas restrictifs) de trouver la paix dans le sommeil du brave. Théories du complot, réseaux sociaux, fake news, pseudonymat, anonymat, et selon les saisons une louche (parfois un seau, mais cela dépend de la pression atmosphérique et politique) de Vodka pour relever à la sauce Popov de ce gloubi-boulga intellectuel. Et pourtant, nos scientifiques en herbe, et en verve, parés de leurs robes blanches statutaires, dissèquent à longueur de journées un corps introuvable. Pourtant, aucun équivalent de la rigidité ou la lividité cadavérique, ni encore même de la température du corps, dont on sait qu’elle baisse d’environ 1° par heure écoulée après le passage dans l’au-delà, ne peuvent être mobilisés pour essayer de dater avec précision la mort de cette confiance. Le mécanisme horloger qui a rythmé la vie de la confiance s’est arrêté net, comme soufflé par une explosion qui aurait figé les aiguilles qui jusque-là trotté lestement, mais personne n’a jamais retrouvé cette montre, et personne n’a jamais pu examiner le mouvement ETA qui l’animait pour déterminer avec précision la date exacte, l’heure précise, la seconde unique et indépassable qui firent basculer la confiance dans les nimbes de la confusion généralisée. Fâcheux, n’est-il pas ?D’autant plus fâcheux que l’histoire, comme bien souvent, ne nous aide guère pour éclaircir cet insondable mystère, et cette épineuse question de la datation qui nous obsède, à défaut d’empêcher les responsables politiques de tourner en rond. Et en guise d’histoire qui mieux que Michel Audiard peut nous rappeler que l’âge d’or de la confiance est, quelque peu, mythifiée et mystifiée. Jean Gabin, alias Ferdinand Maréchal, dit “Le Dabe”, dans Le cave se rebiffe, chef d’oeuvre d’Audiard, sur un texte non moins fameux d’Albert Simonin, ne nous invite-t-il pas à adopter une approche diachronique en matière de confiance, car après tout “depuis Adam se laissant enlever une côte jusqu’à Napoléon attendant Grouchy, toutes les grandes affaires qui ont foiré étaient basées sur la confiance”. Pourtant, et sauf erreur de notre part, qui résulterait très certainement d’une vision linéaire et progressive de l’histoire, Twitter n’existait pas du temps d’Adam, et Napoléon ne publiait pas sur TikTok les vidéos de sa marche sur l’Europe. Et puis quitte à s’autoriser une parenthèse historique, peut-être rappellerons nous que les 140.000 émigrés, pour cause de Révolution française, ont toujours eu une confiance mesurée dans l’ordre républicain et les valeurs qui l’ont animé, de Valmy à la place de la Révolution-Concorde, voire parfois en faisant un détour sur certains pics de sans-culottes. De même qu’on peut légitimement douter de la confiance qui pu exister entre les nostalgiques de Brumaire, et la restauration de la monarchie en France. Et sur le terrain scientifique, encore que, en l’espèce il s’agisse davantage de son négatif, il n’est qu’ à regarder la théorie de discours plus ou moins fumeux, nés au XIXe siècle, sur l’électricité, les trains ou encore les vaccins, où pour ces derniers ont se bornera à souligner que la “Ligue universelle des antivaccinateurs” a vu le jour en 1880, soit quelques années avant la création de Twitter, pour se convaincre que définitivement la concorde autour de la confiance n’a jamais été de ce monde.
L’éternel retour dans l’Allier
Alors, et partant de là, on se demande bien ce que viennent faire Vichy, dont les efforts de l’office du tourisme locale pour présenter une autre image de la ville, afin de faire oublier l’infâme séquence, ressemblent au mythe de Sisyphe, et les réseaux sociaux, dans cette histoire de confiance. On peut également se questionner sur l’opportunité de faire référence, sur ce sujet spécifique bien entendu, à Vichy un 14 juillet, de surcroît deux jours avant les commémorations de la rafle du Vel’ d’Hiv, et alors que la France commémorait également les 25 ans de la reconnaissance, par la voix de Jacques Chirac, de sa responsabilité. On peut légitimement se demander en quoi l’évocation, par analogie, de la part de Jean Castex du régime de Vichy, et de l’opinion publique durant cette époque, apporte quelque chose de pertinent dans la compréhension du phénomène anthropologique, pour citer la formule d’Emmanuel Macron, que les réseaux sociaux manifestent et induisent. D’autant que, et il faut bien le reconnaître, le propos de Jean Castex sur les réseaux sociaux est pour le moins simpliste, et même populiste – dans sa version chic et matinée de respectabilité. Évoquant l’anonymat, qui n’existe pas vraiment, et n’est dans les faits que l’apanage d’une infime minorité d’utilisateurs capables d’être de véritables ghosts en France, Jean Castex estime que sa généralisation conduit les réseaux sociaux à devenir “le régime de Vichy”. On aurait pu apprécier un mutatis mutandis ou sa version contemporaine, le toutes choses égales par ailleurs, mais visiblement Jean Castex, que d’aucuns, à la suite de Jean-Luc Mélenchon, on vite qualifié d’expert en circonvolution, a choisi sur ce sujet d’y aller à la hussarde, sabre au clair.
L’Armée des ombres
De là à dire que Vichy aurait le monopole exclusif du port du pseudonyme ? On aurait tort de se priver de remarquer que Jean Moulin en possédait plusieurs quand son bourreau, Klaus Barbie, agissait quant à lui à visage découvert. Et quand Albert Camus signait du nom de Bauchart dans le journal Combat en 1943, Lucien Rebatet publiait l’année précédente Les Décombres, son pamphlet antisémite, en utilisant son vrai nom. Joseph Darnand, héros de la Grande guerre et de la campagne de France, avant de servir dans tous ses excès et toute son ignominie Vichy, paraissait quant à lui moins soucieux de protéger son identité que le général Philippe Leclerc de Hautecloque. Dans le même temps, ce serait faiblesse de croire que les innombrables correspondants des Kommandaturs de France et de Navarre aient systématiquement caché leur véritable nom, comme si beaucoup d’entre eux n’attendaient pas quelques choses de leurs démarches avec l’administration du Reich. Le mal et la honte sont des notions toutes relatives d’un point de vue individuel, et ce serait faiblesse de croire que les mauvaises actions se commettent uniquement dans l’ombre. Misère de la comparaison historique et de la morale qui, loin de simplifier la lecture du présent l’embrouille encore plus jusqu’à rendre ce dernier parfaitement incompréhensible. Misère également de la comparaison historique lorsque cette dernière fait un peu flop, et vise à côté. Car, et en nous gardant bien, pour notre part, de mettre sur le même pied nos contemporains et les Français de 40, force est de constater que le parti de l’anonymat et de l’ombre, qu’on se rappelle le titre du film de Melville, adapté de L’Armée des ombres de Joseph Kessel paru en 1943, a eu un concours (fort appréciable !) pour laver l’ignominie de la Collaboration, quand les officiels paradaient entre l’Hôtel du Parc et le Majestic, après avoir voté les pleins pouvoirs, à la quasi unanimité, en toute transparence, à Pétain. Ce sont les résistants qui de Philippe de Hautecloque, avec “Leclerc” comme nom de guerre, à Charles Pasqua, entré dans la Résistance à 15 ans sous le pseudonyme de “Prairie”, quand les Miliciens, ne prenaient guère la peine de se cacher. En somme, et loin de nous l’idée de faire à Jean Castex une quelconque leçon d’histoire, reconnaissons toutefois que le plus court chemin qui mène à l’Âge d’or de la confiance, passe par un retour à l’irrémédiable complexité du réel. La confiance ne se perd pas tant sur les réseaux sociaux, que dans le slalom géant avec la vérité réalisé par Sibeth Ndiaye lorsqu’il s’agissait d’expliquer aux Français si oui, ou non, les masques étaient inutiles. En quelques semaines, ces derniers sont passés d’inutiles (quand nous n’en avions pas ?), à dangeureux (quand décidément nous n’arrivions vraiment pas à en avoir ?), à pouvant être utiles (quand les premiers Antonov ont atterri sur nos territoires ?), pour arriver sur l’acmé du grotesque, une fois les stocks remplis, avec l’obligation de porter ces derniers dans les lieux publics clôts dès le 20 juillet. Gageons que la confiance dans la parole gouvernementale en a pris un coup, et que ce n’est pas en étant très “pédagogiques”, comme l’a déclaré Jean Castex dans cette même interview, que la confiance réapparaîtra comme par magie. Quant aux réseaux sociaux, une approche plus mesurée et équilibrée à leur égard ne serait pas un luxe.
Crédit photo : ©Ludovic Marin / AFP, tirée de la1ere.francetvinfo.fr
Quand ceux qui n’ont plus rien partagent le symbole du grotesque et de la vengeance, leur défi nihiliste nous annonce un singulier retour du conflit.
Le chiffre global tétanise : 33.769 attentats «islamistes» (se réclamant d’un projet d’établissement de la charia et/ou du califat) ont couté la vie à au moins 167.096 personnes.
Les black blocs, groupe affinitaire et temporaire, excellent dans la programmation numérique de l’action physique. Nihilisme symbolique et individualisme surexcité, le tout sur fond de communautés numériques : c’est bien la troisième génération de la révolte dont parle Régis Debray : sans contre-projet, mais dans l’action comme révélation de soi.
Quand l’Iran se coupe de la Toile pour isoler ses activistes, il révèle une fracture bien plus profonde.