Après la covid…, le vide ?

Date

11 février 2021

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Résumé

La pandémie ralentit les flux de choses et de gens ; et engendre une peur inédite qui remet en cause des valeurs : ouverture, circulation, croissance, individualisme, hédonisme, consommation, changement ; bref tout ce qui était souhaitable et « moderne » se heurte à l’impératif majeur : prolonger la vie le plus longtemps de la façon la moins pénible. Surmortalité et hyper morbidité deviennent les critères ultimes du bien commun et la justification de tous les sacrifices.

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11 février 2021

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Résumé

La pandémie ralentit les flux de choses et de gens ; et engendre une peur inédite qui remet en cause des valeurs : ouverture, circulation, croissance, individualisme, hédonisme, consommation, changement ; bref tout ce qui était souhaitable et « moderne » se heurte à l’impératif majeur : prolonger la vie le plus longtemps de la façon la moins pénible. Surmortalité et hyper morbidité deviennent les critères ultimes du bien commun et la justification de tous les sacrifices.

Ce rappel au réel – donc au tragique et aux limites – a un impact mental. Et davantage à mesure que se répand l’idée de « vivre avec » durablement, la prévision sur la résilience du virus compromettant nos projets politiques de « retour » et surtout nos utopies. Bref, il n’y aurait pas de parenthèse à fermer pour revenir à la normale, et moins encore, comme le suggéraient quelques manifestes, une occasion pour vite bâtir un monde d’après plus respectueux de la nature et plus convivial leçon apprise.

Certes, chacun trouve confirmation de sa vérité dans les événements. Chacun trace son monde d’après ; il est suivant le cas plus écologiste (ralentir ou décroître), plus social-démocrate (il aurait fallu davantage de dépense publique), plus européen (l’UE a seule la taille pour nous sauver), plus technocratique (il faudrait davantage d’initiative et de multilatéralisme), plus souverainiste (et les frontières et la relocalisation ?)…

Pour le moment, la résilience des idées acceptées, sauf peut-être un hyper libéralisme qui refuserait toute intervention (mais que peu de gens professent pour le moment) semble forte. La catastrophe sanitaire bouleverse modérément la carte intellectuelle. Ainsi, les mouvements électoraux de fond (qui, dans les sondages, aboutissent avec constance à un second tour Macron/Le Pen, par exemple), se prolongent ; la passion dominante de la période, la peur, ne garantit mécaniquement ni une adhésion au discours des chefs en temps de crise, ni l’arrivée aux portes du pouvoir d’un mouvement anti-système.

Les effets politico-intellectuels de la Covid sont plutôt à chercher dans un rapport qui s’instaure avec la science et la vérité. D’une part, la plupart des discours (et a fortiori des décisions politiques) se réfèrent aux nécessités de la situation, aux constats scientifiques, à la loi des chiffres, aux avancées de la recherche, bref à un réel qui commanderait. Voire qui pourrait être modélisé pour prédire. Et, nous sommes submergés par la parole médiatique des experts.

Mais, d’autre part, tandis que nous découvrons combien cette parole scientifique est tout sauf unanime et combien ses interprétations douteuses, les fake news, les théories complotistes prolifèrent tant qu’il a fallu inventer l’expression « infodémie » pour désigner ce phénomène de scepticisme et de croyances improbables. La peur des fake news, de la désinformation ou du conspirationnisme était déjà devenu un leitmotiv depuis les années 2016 : mais cette fois, difficile d’attribuer la chose à des trolls russes ou à des « sphères » populistes, ou à une bande de hackers (même s’il y en a) : la perte de confiance est bien plus générale.

La covid ravive ainsi la crainte des virus mentaux. L’idée de repousser la contagion du faux, ou des pulsions antidémocratiques est devenue une justification des gouvernants (voir Biden annonçant qu’il lutterait contre les « quatre virus » de Covid 19, de la post-vérité, de la haine et de l’extrémisme). L’impératif de se purifier des dominations et stéréotypes – de genre, de race, de sexualité, de refus de l’autre, etc… – gagne tous les jours surtout dans les jeunes générations universitaires ; c’est l’extension de la culture « woke » venue des États-Unis… Imposant doucement l’idée que nous devrions renoncer au politique au profit de la rééducation éthique des masses. Dans les deux cas, il s’agit de se guérir et de se rééduquer : est-ce si simple ?

Les deux peurs, celle physique d’être infecté par le virus et celle, morale, d’être contaminé par des maux purement spirituels (falsification, racisme, phobies diverses, populisme, radicalisation, haine, thèses alternatives) doivent se traduire sous forme d’action et d’organisations.

À plus ou moins long terme, nous devons donc envisager deux types de scénarios. L’un serait déterminé par l’exaspération des anciennes tensions : les conséquences économiques, sociales, culturelles de la pandémie se traduisant en désordres, y compris dans la rue, en tensions de classes, en montée des radicalités. On se déchire à nouveau sur des thèmes de souveraineté, de sécurité, de justice sociale, de mondialisation…, mais avec une violence exacerbée par le traumatisme subi. Chaos et accélération en somme..

L’autre serait qu’à force d’être normés, confinés, déprimés, nous nous habituions à cette soumission : le progrès des dispositifs de contrôle et une habitude de renoncer à des libertés, tout cela finissant par dévaluer la propension démocratique à débattre du souhaitable et du faisable. Pour se soumettre au fatal et se répéter qu’il n’y a pas d’alternative (économique à une époque, sanitaire à une autre).

C’est de notre seule capacité à réhabiliter le politique de dépend la sortie de ce dilemme.

Ce rappel au réel – donc au tragique et aux limites – a un impact mental. Et davantage à mesure que se répand l’idée de « vivre avec » durablement, la prévision sur la résilience du virus compromettant nos projets politiques de « retour » et surtout nos utopies. Bref, il n’y aurait pas de parenthèse à fermer pour revenir à la normale, et moins encore, comme le suggéraient quelques manifestes, une occasion pour vite bâtir un monde d’après plus respectueux de la nature et plus convivial leçon apprise.

Certes, chacun trouve confirmation de sa vérité dans les événements. Chacun trace son monde d’après ; il est suivant le cas plus écologiste (ralentir ou décroître), plus social-démocrate (il aurait fallu davantage de dépense publique), plus européen (l’UE a seule la taille pour nous sauver), plus technocratique (il faudrait davantage d’initiative et de multilatéralisme), plus souverainiste (et les frontières et la relocalisation ?)…

Pour le moment, la résilience des idées acceptées, sauf peut-être un hyper libéralisme qui refuserait toute intervention (mais que peu de gens professent pour le moment) semble forte. La catastrophe sanitaire bouleverse modérément la carte intellectuelle. Ainsi, les mouvements électoraux de fond (qui, dans les sondages, aboutissent avec constance à un second tour Macron/Le Pen, par exemple), se prolongent ; la passion dominante de la période, la peur, ne garantit mécaniquement ni une adhésion au discours des chefs en temps de crise, ni l’arrivée aux portes du pouvoir d’un mouvement anti-système.

Les effets politico-intellectuels de la Covid sont plutôt à chercher dans un rapport qui s’instaure avec la science et la vérité. D’une part, la plupart des discours (et a fortiori des décisions politiques) se réfèrent aux nécessités de la situation, aux constats scientifiques, à la loi des chiffres, aux avancées de la recherche, bref à un réel qui commanderait. Voire qui pourrait être modélisé pour prédire. Et, nous sommes submergés par la parole médiatique des experts.

Mais, d’autre part, tandis que nous découvrons combien cette parole scientifique est tout sauf unanime et combien ses interprétations douteuses, les fake news, les théories complotistes prolifèrent tant qu’il a fallu inventer l’expression « infodémie » pour désigner ce phénomène de scepticisme et de croyances improbables. La peur des fake news, de la désinformation ou du conspirationnisme était déjà devenu un leitmotiv depuis les années 2016 : mais cette fois, difficile d’attribuer la chose à des trolls russes ou à des « sphères » populistes, ou à une bande de hackers (même s’il y en a) : la perte de confiance est bien plus générale.

La covid ravive ainsi la crainte des virus mentaux. L’idée de repousser la contagion du faux, ou des pulsions antidémocratiques est devenue une justification des gouvernants (voir Biden annonçant qu’il lutterait contre les « quatre virus » de Covid 19, de la post-vérité, de la haine et de l’extrémisme). L’impératif de se purifier des dominations et stéréotypes – de genre, de race, de sexualité, de refus de l’autre, etc… – gagne tous les jours surtout dans les jeunes générations universitaires ; c’est l’extension de la culture « woke » venue des États-Unis… Imposant doucement l’idée que nous devrions renoncer au politique au profit de la rééducation éthique des masses. Dans les deux cas, il s’agit de se guérir et de se rééduquer : est-ce si simple ?

Les deux peurs, celle physique d’être infecté par le virus et celle, morale, d’être contaminé par des maux purement spirituels (falsification, racisme, phobies diverses, populisme, radicalisation, haine, thèses alternatives) doivent se traduire sous forme d’action et d’organisations.

À plus ou moins long terme, nous devons donc envisager deux types de scénarios. L’un serait déterminé par l’exaspération des anciennes tensions : les conséquences économiques, sociales, culturelles de la pandémie se traduisant en désordres, y compris dans la rue, en tensions de classes, en montée des radicalités. On se déchire à nouveau sur des thèmes de souveraineté, de sécurité, de justice sociale, de mondialisation…, mais avec une violence exacerbée par le traumatisme subi. Chaos et accélération en somme..

L’autre serait qu’à force d’être normés, confinés, déprimés, nous nous habituions à cette soumission : le progrès des dispositifs de contrôle et une habitude de renoncer à des libertés, tout cela finissant par dévaluer la propension démocratique à débattre du souhaitable et du faisable. Pour se soumettre au fatal et se répéter qu’il n’y a pas d’alternative (économique à une époque, sanitaire à une autre).

C’est de notre seule capacité à réhabiliter le politique de dépend la sortie de ce dilemme.

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