Mila : entre tension médiologique et crise idéologique

Date

7 février 2020

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Résumé

L’affaire Mila comporte deux dimensions : médiologique et idéologique.

Date

7 février 2020

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Résumé

L’affaire Mila comporte deux dimensions : médiologique et idéologique.

L’affaire Mila – qui semble s’apaiser mais marquera les esprits – comporte deux dimensions : médiologique et idéologique.

La première illustre l’interférence entre médias classiques et réseaux sociaux.

Les épisodes :

1. Sollicitée lourdement en ligne puis insultée au nom de la religion, une jeune fille lesbienne, répond par vidéo que le Coran dont se réclame son harceleur est plein de haine et sa religion, de la « merde ». Effet de tension favorisé par l’anonymat et la médiation du réseau.

2. S’ensuit un lynchage viral ; la gamine est injuriée des milliers de fois et menacée de mort. La conversation privée est devenue affaire publique avec un phénomène de meute « 2.0 » : mobilisation tous contre une au nom de l’offense. Mais ici, l’emballement interfère sur la « vraie vie ». Mila ne peut même plus aller à l’école et on craint pour sa vie.

3. L’affaire filtre, en ligne (avec l’inévitable identification par #jesuismila et l’indignation contagieuse plutôt dans des milieux férus de « réinformation »), puis atteint la presse. Prédominent deux arguments en attaque :

  • « on ne peut plus rien dire », la liberté d’expression est persécutée au nom du communautarisme, des phobies et du « respect »
  • « deux poids deux mesures » : un humoriste qui a traité le Christ de pédé n’a guère eu d’ennuis, et les milieux associatifs ne se sont pas précipités pour défendre la jeune LGBT.

4. Commentaire du commentaire : toute la classe politique est obligée de réagir sur les plateaux. Certains maladroitement (et en renforçant a contrario les deux arguments). Ainsi, la ministre Belloubet qui estime que le blasphème de Mila atteint à la liberté de conscience ou Ségolène Royal qui refuse de soutenir une adolescente « en crise » au nom du « respect ».

5. Stade de la théorisation : distingo entre offenser une croyance (critique du dogme ou blasphème, légal) et attaquer les croyants (punissable), liberté de parole versus souffrance subjective des croyants, soumission au politiquement correct contre stigmatisation de l’injure, valeurs de la République envers communautarisme…

6. Au final Mila devient une star vue à la télé, mais paradoxalement au prix d’une vie gâchée et sous protection policière. Elle passe à l’émission phare de TMC, le Quotidien, et se justifie, d’ailleurs avec dignité, face à ce qui ressemble à un tribunal de la crimepensée.

Les clivages idéologiques ne sont pas moins révélateurs. Si l’on se sert d’un grille droite/gauche, on voit combien les thèmatiques politiques voyagent. L’esprit Charlie, l’irréligion, la liberté de blasphémer (offenser un dieu ou ses révélations et commandements), la critique du conformisme, voire de la pensée dominante et de la société du spectacle passent chez les conservateurs qui se sentent idéologiquement dominés. Et si une partie de la gauche se dit encore laïque ou voltairienne, des progressistes proclamés rajeunissent le principe que l’on croyait conservateur : ne pas brutaliser les mœurs et convictions, ni offenser ce qui est tenu pour sacré par une tradition, moins encore troubler l’ordre public par la libération de la parole. Paradoxe du « respect » et des valeurs réinterprétés.

Or l’idéologie c’est le conflit : elle oblige se ranger d’un côté de la barrière. Au-delà de la rhétorique du scandale (un sondage annonce que les Français se partagent moitié moitié pour ou contre le droit au blasphème), les idées se bipolarisent. D’où une autre carte. Parti de l’existant voire du surmoi, plutôt représentatif du bloc élitaire, adeptes de l’ouverture et de la diversité, mais inquiets de la montée du populisme, persuadés que le danger vient des fantasmes de ceux d’en bas et la solution, une démocratie apaisée, notamment par le polissage de la langue. À certains égards, le parti de la peur.

Contre eux, le parti des colériques, convaincus qu’on leur dissimule la gravité de la situation, indignés par la soumission des élites, déplorant la perte de nos libertés d’hier, se préparant aux tensions de demain.

L’affaire Mila – qui semble s’apaiser mais marquera les esprits – comporte deux dimensions : médiologique et idéologique.

La première illustre l’interférence entre médias classiques et réseaux sociaux.

Les épisodes :

1. Sollicitée lourdement en ligne puis insultée au nom de la religion, une jeune fille lesbienne, répond par vidéo que le Coran dont se réclame son harceleur est plein de haine et sa religion, de la « merde ». Effet de tension favorisé par l’anonymat et la médiation du réseau.

2. S’ensuit un lynchage viral ; la gamine est injuriée des milliers de fois et menacée de mort. La conversation privée est devenue affaire publique avec un phénomène de meute « 2.0 » : mobilisation tous contre une au nom de l’offense. Mais ici, l’emballement interfère sur la « vraie vie ». Mila ne peut même plus aller à l’école et on craint pour sa vie.

3. L’affaire filtre, en ligne (avec l’inévitable identification par #jesuismila et l’indignation contagieuse plutôt dans des milieux férus de « réinformation »), puis atteint la presse. Prédominent deux arguments en attaque :

  • « on ne peut plus rien dire », la liberté d’expression est persécutée au nom du communautarisme, des phobies et du « respect »
  • « deux poids deux mesures » : un humoriste qui a traité le Christ de pédé n’a guère eu d’ennuis, et les milieux associatifs ne se sont pas précipités pour défendre la jeune LGBT.

4. Commentaire du commentaire : toute la classe politique est obligée de réagir sur les plateaux. Certains maladroitement (et en renforçant a contrario les deux arguments). Ainsi, la ministre Belloubet qui estime que le blasphème de Mila atteint à la liberté de conscience ou Ségolène Royal qui refuse de soutenir une adolescente « en crise » au nom du « respect ».

5. Stade de la théorisation : distingo entre offenser une croyance (critique du dogme ou blasphème, légal) et attaquer les croyants (punissable), liberté de parole versus souffrance subjective des croyants, soumission au politiquement correct contre stigmatisation de l’injure, valeurs de la République envers communautarisme…

6. Au final Mila devient une star vue à la télé, mais paradoxalement au prix d’une vie gâchée et sous protection policière. Elle passe à l’émission phare de TMC, le Quotidien, et se justifie, d’ailleurs avec dignité, face à ce qui ressemble à un tribunal de la crimepensée.

Les clivages idéologiques ne sont pas moins révélateurs. Si l’on se sert d’un grille droite/gauche, on voit combien les thèmatiques politiques voyagent. L’esprit Charlie, l’irréligion, la liberté de blasphémer (offenser un dieu ou ses révélations et commandements), la critique du conformisme, voire de la pensée dominante et de la société du spectacle passent chez les conservateurs qui se sentent idéologiquement dominés. Et si une partie de la gauche se dit encore laïque ou voltairienne, des progressistes proclamés rajeunissent le principe que l’on croyait conservateur : ne pas brutaliser les mœurs et convictions, ni offenser ce qui est tenu pour sacré par une tradition, moins encore troubler l’ordre public par la libération de la parole. Paradoxe du « respect » et des valeurs réinterprétés.

Or l’idéologie c’est le conflit : elle oblige se ranger d’un côté de la barrière. Au-delà de la rhétorique du scandale (un sondage annonce que les Français se partagent moitié moitié pour ou contre le droit au blasphème), les idées se bipolarisent. D’où une autre carte. Parti de l’existant voire du surmoi, plutôt représentatif du bloc élitaire, adeptes de l’ouverture et de la diversité, mais inquiets de la montée du populisme, persuadés que le danger vient des fantasmes de ceux d’en bas et la solution, une démocratie apaisée, notamment par le polissage de la langue. À certains égards, le parti de la peur.

Contre eux, le parti des colériques, convaincus qu’on leur dissimule la gravité de la situation, indignés par la soumission des élites, déplorant la perte de nos libertés d’hier, se préparant aux tensions de demain.

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