Le virus se propage, comme la méfiance dans l’autorité
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Résumé
La guerre civile suppose : mourir et tuer ensemble (la mort légitime sur la barricade ou collé au mur), s’armer ensemble (et pas seulement de pancartes ou de concepts), se regrouper (d’un côté où de l’autre d’une ligne de front), espérer ensemble (un ordre idéal), communier dans ses symboles (partager du passé et de l’avenir). Pas seulement détester ou dénoncer. Ni éprouver une même peur du chaos.
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Résumé
La guerre civile suppose : mourir et tuer ensemble (la mort légitime sur la barricade ou collé au mur), s’armer ensemble (et pas seulement de pancartes ou de concepts), se regrouper (d’un côté où de l’autre d’une ligne de front), espérer ensemble (un ordre idéal), communier dans ses symboles (partager du passé et de l’avenir). Pas seulement détester ou dénoncer. Ni éprouver une même peur du chaos.
Parmi les crises – économique, sociale…- attendues pour le jour « d’après », celle de l’autorité pourrait ne pas être la plus négligeable. L’autorité produit de l’obéissance sans carotte ni bâton. Elle n’est ni le pouvoir de la contrainte, fût-elle légitime, ni l’influence de la com, fût-elle séductrice ; l’autorité suppose des principes qui suscitent de la croyance. Elle perdure quand le consentement est intériorisé. L’héritage des ancêtres, la dynamique du chef ou la représentation du peuple par les gouvernants en fournissent les justifications les plus classiques.
Or il y a crise générale des démocraties libérales ; leurs performances contre la pandémie ne plaident guère en leur faveur, comparées aux régimes dits autoritaires. Les principes dont elles se réclament – mondialisation, organisations internationales, société civile planétaire, délocalisation, frénésie de l’échange et primat de l’économie – ont échoué à garantir le premier des droits : la sûreté de la vie. Un modèle qui se disait conforme à l’évolution inéluctable achoppe sur l’aléa global et révèle sa propre fragilité. Et si biopouvoir il y a, comme disent les disciples de Foucault, encore faut-il qu’il n’y ait pas trop de morts pour qu’on le respecte.
Crise de l’autorité spécifiquement française
Cela n’implique pas que le capitalisme disparaisse demain en vertu du mantra « plus rien ne sera comme avant », mais le discours libéral aura perdu de sa crédibilité. Ses institutions, internationales en particulier, sont fragilisées. Ses mécanismes bloqués. Une « entité biologique microscopique » qui vous pirate les cellules compromet la méga-machine et fige le temps.
S’ajoutera sans doute une crise de l’autorité spécifiquement française. Où l’on peut, il est vrai, être déçus par l’État protecteur, stratège, égalitaire, etc., doté du « meilleur système de santé du monde », qui a inscrit le principe de précaution dans sa constitution, et où la dépense publique s’élève à 56% du PIB,…
Deux éléments s’ajoutent plus spécifiques du macronisme. D’abord un bizarre rapport avec la vérité. À propos des frontières, du confinement, du masque, du dépistage, il n’est pas difficile – les réseaux sociaux ne s’en privent pas – de collecter les déclarations contradictoires du pouvoir. Nous ne sommes certes pas le seul pays à avoir cafouillé ; l’erreur la plus classique en communication de crise : dire que tout est sous contrôle au début et se le faire rappeler plus tard. Mais la suspicion envers la parole d’État est impressionnante. La façon dont une partie de la population adhère à tort ou à raison au contre-discours du professeur Raoult ou aux thèses d’un virus fabriqué en laboratoire est un indice : après l’épidémie deux France ne parleront plus de la même réalité.
L’expertise
L’autre thème complémentaire, est celui de l’expertise. Un gouvernement très « en même temps » de droite et de gauche, est forcément technocratique : pragmatique (la politique ce sont des problèmes appelant des solutions) et expertocratique (les sachants indiquent ladite solution à laquelle se rangent les esprits de progrès). Or les experts ne sont pas unanimes, se contredisent et tendent à légitimer le discours politique du moment. L’argument de l’intelligence exceptionnelle de nos gouvernants ou la caution savante rassurent peu ; on ne fait pas de godille scientifique.
Après, on comparera les pays, les stratégies et les peuples résilients ou disciplinés. Mais il y a peu de chances que la France soit dans les plus apaisés. Des colères dispersées aggravent des ressentiments qui s’accumulent. Y répondra une politique de l’urgence à laquelle l’absence d’alternative servira d’argument et la peur de justification, pour plus de contrôle et de surveillance. Et quelque rhétorique sur le nouveau nouveau monde d’après.
À la confiance tournée vers le bas (mon infirmier, mon maire, mon voisin) s’opposera souvent la méfiance envers ceux d’en haut, ceux qui nous méprisent et sont incapables. Il existait déjà une forte fracture entre bloc populaire et bloc élitaire, sociologiquement, politiquement, culturellement. Elle se prolongera symboliquement. Une contagion que ne résoudra aucun confinement.
Parmi les crises – économique, sociale…- attendues pour le jour « d’après », celle de l’autorité pourrait ne pas être la plus négligeable. L’autorité produit de l’obéissance sans carotte ni bâton. Elle n’est ni le pouvoir de la contrainte, fût-elle légitime, ni l’influence de la com, fût-elle séductrice ; l’autorité suppose des principes qui suscitent de la croyance. Elle perdure quand le consentement est intériorisé. L’héritage des ancêtres, la dynamique du chef ou la représentation du peuple par les gouvernants en fournissent les justifications les plus classiques.
Or il y a crise générale des démocraties libérales ; leurs performances contre la pandémie ne plaident guère en leur faveur, comparées aux régimes dits autoritaires. Les principes dont elles se réclament – mondialisation, organisations internationales, société civile planétaire, délocalisation, frénésie de l’échange et primat de l’économie – ont échoué à garantir le premier des droits : la sûreté de la vie. Un modèle qui se disait conforme à l’évolution inéluctable achoppe sur l’aléa global et révèle sa propre fragilité. Et si biopouvoir il y a, comme disent les disciples de Foucault, encore faut-il qu’il n’y ait pas trop de morts pour qu’on le respecte.
Crise de l’autorité spécifiquement française
Cela n’implique pas que le capitalisme disparaisse demain en vertu du mantra « plus rien ne sera comme avant », mais le discours libéral aura perdu de sa crédibilité. Ses institutions, internationales en particulier, sont fragilisées. Ses mécanismes bloqués. Une « entité biologique microscopique » qui vous pirate les cellules compromet la méga-machine et fige le temps.
S’ajoutera sans doute une crise de l’autorité spécifiquement française. Où l’on peut, il est vrai, être déçus par l’État protecteur, stratège, égalitaire, etc., doté du « meilleur système de santé du monde », qui a inscrit le principe de précaution dans sa constitution, et où la dépense publique s’élève à 56% du PIB,…
Deux éléments s’ajoutent plus spécifiques du macronisme. D’abord un bizarre rapport avec la vérité. À propos des frontières, du confinement, du masque, du dépistage, il n’est pas difficile – les réseaux sociaux ne s’en privent pas – de collecter les déclarations contradictoires du pouvoir. Nous ne sommes certes pas le seul pays à avoir cafouillé ; l’erreur la plus classique en communication de crise : dire que tout est sous contrôle au début et se le faire rappeler plus tard. Mais la suspicion envers la parole d’État est impressionnante. La façon dont une partie de la population adhère à tort ou à raison au contre-discours du professeur Raoult ou aux thèses d’un virus fabriqué en laboratoire est un indice : après l’épidémie deux France ne parleront plus de la même réalité.
L’expertise
L’autre thème complémentaire, est celui de l’expertise. Un gouvernement très « en même temps » de droite et de gauche, est forcément technocratique : pragmatique (la politique ce sont des problèmes appelant des solutions) et expertocratique (les sachants indiquent ladite solution à laquelle se rangent les esprits de progrès). Or les experts ne sont pas unanimes, se contredisent et tendent à légitimer le discours politique du moment. L’argument de l’intelligence exceptionnelle de nos gouvernants ou la caution savante rassurent peu ; on ne fait pas de godille scientifique.
Après, on comparera les pays, les stratégies et les peuples résilients ou disciplinés. Mais il y a peu de chances que la France soit dans les plus apaisés. Des colères dispersées aggravent des ressentiments qui s’accumulent. Y répondra une politique de l’urgence à laquelle l’absence d’alternative servira d’argument et la peur de justification, pour plus de contrôle et de surveillance. Et quelque rhétorique sur le nouveau nouveau monde d’après.
À la confiance tournée vers le bas (mon infirmier, mon maire, mon voisin) s’opposera souvent la méfiance envers ceux d’en haut, ceux qui nous méprisent et sont incapables. Il existait déjà une forte fracture entre bloc populaire et bloc élitaire, sociologiquement, politiquement, culturellement. Elle se prolongera symboliquement. Une contagion que ne résoudra aucun confinement.
Quand ceux qui n’ont plus rien partagent le symbole du grotesque et de la vengeance, leur défi nihiliste nous annonce un singulier retour du conflit.
Le chiffre global tétanise : 33.769 attentats «islamistes» (se réclamant d’un projet d’établissement de la charia et/ou du califat) ont couté la vie à au moins 167.096 personnes.
Les black blocs, groupe affinitaire et temporaire, excellent dans la programmation numérique de l’action physique. Nihilisme symbolique et individualisme surexcité, le tout sur fond de communautés numériques : c’est bien la troisième génération de la révolte dont parle Régis Debray : sans contre-projet, mais dans l’action comme révélation de soi.
Quand l’Iran se coupe de la Toile pour isoler ses activistes, il révèle une fracture bien plus profonde.