Jour d’après et convergence des crises

Date

5 avril 2020

Partager

Résumé

On sait depuis les Romains que sortir de l’état d’exception est la période de toutes les passions populaires. À quel état de peur serons-nous ? Et quelle colère aurons-nous accumulée ? Et surtout, contre qui et avec qui les dirigerons-nous ?

Date

5 avril 2020

Partager

Résumé

On sait depuis les Romains que sortir de l’état d’exception est la période de toutes les passions populaires. À quel état de peur serons-nous ? Et quelle colère aurons-nous accumulée ? Et surtout, contre qui et avec qui les dirigerons-nous ?

La métaphore macronienne « nous sommes en guerre » a été fort critiquée. Une guerre sans frontières, où les troupes se cantonnent dans leurs foyers, où la stratégie vise à atténuer ses propres pertes sans tuer d’ennemi, et où l’ennemi n’a aucune volonté politique qui puisse céder à notre victoire, ce n’est pas du Clausewitz. Bien sûr, chacun a compris qu’Emmanuel Macron voulait nous mobiliser psychologiquement – vigilance et discipline – pour nous démobiliser politiquement – ni querelles ni divisions -. L’état d’urgence sanitaire réclame une trêve des controverses tandis que la suspension provisoire de notre liberté de bouger appelle la limitation de la critique. Union nationale !

Raisonner en termes de temps de guerre et temps de paix, n’est pas qu’affaire de sémantique. Nos dirigeants travaillent sans doute sur l’hypothèse d’un retour des tensions le jour d’après.

Nous avons déjà évoqué le conflit politique. L’opposition aura le temps de peaufiner son dossier sur les fautes du gouvernement : impréparation, déni et lenteurs. Elle reprochera l’abandon des services publics (plutôt LFI), celui des frontières et de l’autonomie (plutôt le RN) et des délires du productivisme (plutôt les écolos). Mais son discours risque d’être confrontée au judo macronien : il n’y avait pas d’alternative, nous n’avons fait qu’appliquer les prescriptions scientifiques et maintenant, laissez la technostructure réparer les dégâts.

Responsabilités

Le président a renvoyé au jour d’après la recherche des responsabilités et des solutions. On croit comprendre qu’elles supposent plus de souveraineté nationale et européenne (non sans contradictions : la souveraineté étant indivisible et excluant toute autorité supérieure). Nous pouvons attendre plus d’interventions publiques et de surveillance du public. Et que les gouvernants n’hésiteront pas à s’approprier des politiques interventionnistes qu’ils condamnaient hier.

Le chaos sera économique et social. Quel redémarrage de quoi ? Quel coût en termes de production et d’emplois ? Comment un système basé sur le libre-échange, les flux tendus, la délocalisation, le partage international des tâches et les progrès du développement peut-il se réformer ? Et qui paiera l’addition ? En impôts, en emplois, en inégalités, en protection étatique perdue… Il y aura forcément de nouvelles tensions entre bloc élitaire et bloc populaire. S’autorisant du besoin d’autorité et de sûreté, l’État peut jouer sur deux tableaux : surveillance de masse pour des raisons sécuritaires, régression sociale au nom de l’urgence économique.

La crise d’après

La crise d’après aura aussi une dimension géopolitique encore indécise. Elle touchera les institution internationales divisées et dépassées. D’abord l’Union européenne dont tout le discours sur la solidarité et la protection a été démenti. L’U.E. moralisatrice et gestionnaire ne s’est jamais conçue que comme institution de paix, oubliant la fonction première du politique : garantir la vie. L’Italie a été abandonnée et en Hongrie, Orban profite de la pandémie pour renforcer ses pouvoirs, pour ne prendre que deux exemples. Ce ne seront pas des partenaires très complaisants pour reprendre la gouvernance as usual. Les Nations ont redécouvert la nécessité de contrôler leurs frontières, leurs mouvement de population, leur budget, leurs infrastructures nationales, leurs lois et leurs dettes, voire leur monnaie, et elles ne sont plus très réceptives .

Sans faire de science-fiction, on peut imaginer un scénario où la Chine se tirerait mieux de l’épidémie – toute l’Asie l’a déjà fait – et gagnerait aussi en termes de soft power, tandis que l’Amérique de Trump repliée sur elle-même perdrait de son influence et se tournerait vers une politique intérieure chaotique. Que vaudra le modèle occidental-universel après catastrophe ?

Ces trois crises s’articuleront aussi autour de la crise symbolique ou psychique. Le virus opère un rappel au réel, donc au tragique : nous sommes fragiles et dépendants et aucune de nos mythologies sur la mondialisation n’y change rien. Beaucoup d’entre nous se répètent que « plus rien ne sera comme avant », la moitié prédisant l’instauration d’un système de surveillance électronique à la Big Brother, l’autre se prenant à rêver à un réveil du peuple face au néo-libéralisme discrédité. On sait depuis les Romains que sortir de l’état d’exception est la période de toutes les passions populaires. À quel état de peur serons-nous ? Et quelle colère aurons-nous accumulée ? Et surtout, contre qui et avec qui les dirigerons-nous ?

La métaphore macronienne « nous sommes en guerre » a été fort critiquée. Une guerre sans frontières, où les troupes se cantonnent dans leurs foyers, où la stratégie vise à atténuer ses propres pertes sans tuer d’ennemi, et où l’ennemi n’a aucune volonté politique qui puisse céder à notre victoire, ce n’est pas du Clausewitz. Bien sûr, chacun a compris qu’Emmanuel Macron voulait nous mobiliser psychologiquement – vigilance et discipline – pour nous démobiliser politiquement – ni querelles ni divisions -. L’état d’urgence sanitaire réclame une trêve des controverses tandis que la suspension provisoire de notre liberté de bouger appelle la limitation de la critique. Union nationale !

Raisonner en termes de temps de guerre et temps de paix, n’est pas qu’affaire de sémantique. Nos dirigeants travaillent sans doute sur l’hypothèse d’un retour des tensions le jour d’après.

Nous avons déjà évoqué le conflit politique. L’opposition aura le temps de peaufiner son dossier sur les fautes du gouvernement : impréparation, déni et lenteurs. Elle reprochera l’abandon des services publics (plutôt LFI), celui des frontières et de l’autonomie (plutôt le RN) et des délires du productivisme (plutôt les écolos). Mais son discours risque d’être confrontée au judo macronien : il n’y avait pas d’alternative, nous n’avons fait qu’appliquer les prescriptions scientifiques et maintenant, laissez la technostructure réparer les dégâts.

Responsabilités

Le président a renvoyé au jour d’après la recherche des responsabilités et des solutions. On croit comprendre qu’elles supposent plus de souveraineté nationale et européenne (non sans contradictions : la souveraineté étant indivisible et excluant toute autorité supérieure). Nous pouvons attendre plus d’interventions publiques et de surveillance du public. Et que les gouvernants n’hésiteront pas à s’approprier des politiques interventionnistes qu’ils condamnaient hier.

Le chaos sera économique et social. Quel redémarrage de quoi ? Quel coût en termes de production et d’emplois ? Comment un système basé sur le libre-échange, les flux tendus, la délocalisation, le partage international des tâches et les progrès du développement peut-il se réformer ? Et qui paiera l’addition ? En impôts, en emplois, en inégalités, en protection étatique perdue… Il y aura forcément de nouvelles tensions entre bloc élitaire et bloc populaire. S’autorisant du besoin d’autorité et de sûreté, l’État peut jouer sur deux tableaux : surveillance de masse pour des raisons sécuritaires, régression sociale au nom de l’urgence économique.

La crise d’après

La crise d’après aura aussi une dimension géopolitique encore indécise. Elle touchera les institution internationales divisées et dépassées. D’abord l’Union européenne dont tout le discours sur la solidarité et la protection a été démenti. L’U.E. moralisatrice et gestionnaire ne s’est jamais conçue que comme institution de paix, oubliant la fonction première du politique : garantir la vie. L’Italie a été abandonnée et en Hongrie, Orban profite de la pandémie pour renforcer ses pouvoirs, pour ne prendre que deux exemples. Ce ne seront pas des partenaires très complaisants pour reprendre la gouvernance as usual. Les Nations ont redécouvert la nécessité de contrôler leurs frontières, leurs mouvement de population, leur budget, leurs infrastructures nationales, leurs lois et leurs dettes, voire leur monnaie, et elles ne sont plus très réceptives .

Sans faire de science-fiction, on peut imaginer un scénario où la Chine se tirerait mieux de l’épidémie – toute l’Asie l’a déjà fait – et gagnerait aussi en termes de soft power, tandis que l’Amérique de Trump repliée sur elle-même perdrait de son influence et se tournerait vers une politique intérieure chaotique. Que vaudra le modèle occidental-universel après catastrophe ?

Ces trois crises s’articuleront aussi autour de la crise symbolique ou psychique. Le virus opère un rappel au réel, donc au tragique : nous sommes fragiles et dépendants et aucune de nos mythologies sur la mondialisation n’y change rien. Beaucoup d’entre nous se répètent que « plus rien ne sera comme avant », la moitié prédisant l’instauration d’un système de surveillance électronique à la Big Brother, l’autre se prenant à rêver à un réveil du peuple face au néo-libéralisme discrédité. On sait depuis les Romains que sortir de l’état d’exception est la période de toutes les passions populaires. À quel état de peur serons-nous ? Et quelle colère aurons-nous accumulée ? Et surtout, contre qui et avec qui les dirigerons-nous ?

Poursuivre votre lecture