Le coronavirus, agent de l’anti-modernité

Date

19 mars 2020

Partager

Résumé

Il joue de nos faiblesses et de notre confiance, à commencer par notre confiance en nous ou en la sécurité de notre environnement familier. Plus vous êtes mobile, ouvert, désireux d’échanger, plus il en profite.

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19 mars 2020

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Résumé

Il joue de nos faiblesses et de notre confiance, à commencer par notre confiance en nous ou en la sécurité de notre environnement familier. Plus vous êtes mobile, ouvert, désireux d’échanger, plus il en profite.

« Nous sommes en guerre », répété six fois… Dans son discours « à la Clemenceau» du 16 mars, le Président de la République annonce le rétablissement des frontières (de Schengen), le confinement des citoyens, des réquisitions, la suspension des réformes, des ordonnances, bref la mobilisation… Registre dramatique après des semaines de rhétorique rassurante. C’était il y a si peu…

Les réseaux sociaux sont cruels ; il y circule des traces irréfutables ; les déclarations démenties par les faits reviennent en boucle quelques jours ou semaines après. Une ex-ministre expliquant que le risque de coronavirus restera confiné en Chine, une Secrétaire d’État que notre situation n’est en rien comparable à celle de la bordélique Italie, un président de la République allant au théâtre ou sur les Champs-Élysées pour démontrer qu’il ne faut avoir peur que de la peur, des experts ricanant sur la gripette, sur le dépistage systématique, sur les masques ou le confinement, des penseurs commentant l’absurdité du contrôle aux frontières, mesure digne des pays fascisants (les virus n’ont pas de passeport), des hauts dirigeants prédisant l’effondrement vers lequel allait la Chine (où notre devait envoyer des stocks stratégiques). Et tout le monde redisant sa confiance dans l’Europe salvatrice et le civisme des Français (nos valeurs…).

L’impossible qui advient

Depuis, les confidences de Mme Buzyn dans le Monde laissent planer le soupçon, sinon que tous nos dirigeants savaient depuis le début, du moins qu’il y a eu un déni du réel, qui n’est pas loins de ressembler à de la doublepensée que décrivait Orwell : penser simultanément que blanc est noir.

Il est toujours fascinant de se demander pourquoi les élites n’arrivent à comprendre à temps ni le retour du conflit (Gilets jaunes et luttes sociales), ni celui de l’accident (un tout petit virus qui secoue le monde). Quitte à constater comme le Président que « des choses que nous pensions impossibles adviennent ». L’inattendu comme d’habitude, cela s’appelle la réalité. Pourquoi ce déni ou ce délai ?

Pour une part, cela tient à des habitudes mentales. Ainsi, de confondre un risque (fréquence d’un danger connue plus ou moins par expérience, comme la grippe) et l’incertitude qu’apporte un danger nouveau obéissant à d’autres règles. En l’occurrence, il est facile de mal calculer entre taux de létalité du virus, taux de contagion, et capacité soutenable de traiter les symptômes graves. Le tout compliqué par le facteur temps (les fameuses courbes d’extension qu’il faudrait aplatir) et les effets des mesures qui ne se font sentir qu’après décalage. Sans oublier un second facteur bête comme chou : faute de dépistage systématique (seulement sur les cas les plus probables en France), nous sous-estimons probablement le nombre de porteurs, bombes à retardement.

Face à cette indéniable complexité, semblent se dessiner deux doctrines : une « orientale » (Chine, Taiwan, Corée) : on dépiste, on confine et on arrête vite. Et une «européenne » : ralentissons, laissons filer doucement pour ne pas détraquer l’économie et le système sanitaire et naviguons vers le cap d’une population progressivement immunisée.

Globalement, nous avons été dressés à croire que des tendances se développaient de façon linéaire (le PIB augmenterait mais peu-être le taux de carbone aussi), mais sommes toujours surpris par les ruptures d’une trajectoire que l’on croyait uniforme: la guerre, le jihadisme, les révoltes populaires, comme les très archaïques épidémies font rupture dans un changement certes perpétuel (ce dont personne ne doute) mais univoque.

Par définition, un virus agit de façon surprenante (il mute) mais il est aussi opportuniste : il lui faut un hôte pour se répliquer et passer de Pierre à Paul. Il joue de nos faiblesses et de notre confiance, à commencer par notre confiance en nous ou en la sécurité de notre environnement familier. Plus vous êtes mobile, ouvert, désireux d’échanger, plus il en profite. Et il semblerait qu’une bonne vieille autorité territoriale qui oblige le citoyen à se préserver et à ne pas menacer les autres par individualisme puisse l’arrêter. Et ne parlons pas de frontières… Ce virus est réac.

La peur (nous a-t-on assez répété : ne pas céder aux peurs et aux fantasmes) pourrait bien être la meilleure conseillère. Le virus épargne plutôt les isolés, les paranos, les routiniers et les enracinés. Bref, il est l’agent le plus récent et le plus puissant de l’anti-modernité. Est-ce pour cela, et parce qu’il menace ce en quoi ils ont foi (l’Europe, l’ouverture, la communication) que les dirigeants sont les plus lents à comprendre ?

« Nous sommes en guerre », répété six fois… Dans son discours « à la Clemenceau» du 16 mars, le Président de la République annonce le rétablissement des frontières (de Schengen), le confinement des citoyens, des réquisitions, la suspension des réformes, des ordonnances, bref la mobilisation… Registre dramatique après des semaines de rhétorique rassurante. C’était il y a si peu…

Les réseaux sociaux sont cruels ; il y circule des traces irréfutables ; les déclarations démenties par les faits reviennent en boucle quelques jours ou semaines après. Une ex-ministre expliquant que le risque de coronavirus restera confiné en Chine, une Secrétaire d’État que notre situation n’est en rien comparable à celle de la bordélique Italie, un président de la République allant au théâtre ou sur les Champs-Élysées pour démontrer qu’il ne faut avoir peur que de la peur, des experts ricanant sur la gripette, sur le dépistage systématique, sur les masques ou le confinement, des penseurs commentant l’absurdité du contrôle aux frontières, mesure digne des pays fascisants (les virus n’ont pas de passeport), des hauts dirigeants prédisant l’effondrement vers lequel allait la Chine (où notre devait envoyer des stocks stratégiques). Et tout le monde redisant sa confiance dans l’Europe salvatrice et le civisme des Français (nos valeurs…).

L’impossible qui advient

Depuis, les confidences de Mme Buzyn dans le Monde laissent planer le soupçon, sinon que tous nos dirigeants savaient depuis le début, du moins qu’il y a eu un déni du réel, qui n’est pas loins de ressembler à de la doublepensée que décrivait Orwell : penser simultanément que blanc est noir.

Il est toujours fascinant de se demander pourquoi les élites n’arrivent à comprendre à temps ni le retour du conflit (Gilets jaunes et luttes sociales), ni celui de l’accident (un tout petit virus qui secoue le monde). Quitte à constater comme le Président que « des choses que nous pensions impossibles adviennent ». L’inattendu comme d’habitude, cela s’appelle la réalité. Pourquoi ce déni ou ce délai ?

Pour une part, cela tient à des habitudes mentales. Ainsi, de confondre un risque (fréquence d’un danger connue plus ou moins par expérience, comme la grippe) et l’incertitude qu’apporte un danger nouveau obéissant à d’autres règles. En l’occurrence, il est facile de mal calculer entre taux de létalité du virus, taux de contagion, et capacité soutenable de traiter les symptômes graves. Le tout compliqué par le facteur temps (les fameuses courbes d’extension qu’il faudrait aplatir) et les effets des mesures qui ne se font sentir qu’après décalage. Sans oublier un second facteur bête comme chou : faute de dépistage systématique (seulement sur les cas les plus probables en France), nous sous-estimons probablement le nombre de porteurs, bombes à retardement.

Face à cette indéniable complexité, semblent se dessiner deux doctrines : une « orientale » (Chine, Taiwan, Corée) : on dépiste, on confine et on arrête vite. Et une «européenne » : ralentissons, laissons filer doucement pour ne pas détraquer l’économie et le système sanitaire et naviguons vers le cap d’une population progressivement immunisée.

Globalement, nous avons été dressés à croire que des tendances se développaient de façon linéaire (le PIB augmenterait mais peu-être le taux de carbone aussi), mais sommes toujours surpris par les ruptures d’une trajectoire que l’on croyait uniforme: la guerre, le jihadisme, les révoltes populaires, comme les très archaïques épidémies font rupture dans un changement certes perpétuel (ce dont personne ne doute) mais univoque.

Par définition, un virus agit de façon surprenante (il mute) mais il est aussi opportuniste : il lui faut un hôte pour se répliquer et passer de Pierre à Paul. Il joue de nos faiblesses et de notre confiance, à commencer par notre confiance en nous ou en la sécurité de notre environnement familier. Plus vous êtes mobile, ouvert, désireux d’échanger, plus il en profite. Et il semblerait qu’une bonne vieille autorité territoriale qui oblige le citoyen à se préserver et à ne pas menacer les autres par individualisme puisse l’arrêter. Et ne parlons pas de frontières… Ce virus est réac.

La peur (nous a-t-on assez répété : ne pas céder aux peurs et aux fantasmes) pourrait bien être la meilleure conseillère. Le virus épargne plutôt les isolés, les paranos, les routiniers et les enracinés. Bref, il est l’agent le plus récent et le plus puissant de l’anti-modernité. Est-ce pour cela, et parce qu’il menace ce en quoi ils ont foi (l’Europe, l’ouverture, la communication) que les dirigeants sont les plus lents à comprendre ?

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