« Hold-Up » : A qui la faute ?

Date

12 novembre 2020

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Résumé

Le documentaire "Hold-up" sur la Covid-19, critiquant la gestion française, connaît un succès massif. Cette popularité souligne une méfiance croissante envers les informations officielles.

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12 novembre 2020

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Résumé

Le documentaire "Hold-up" sur la Covid-19, critiquant la gestion française, connaît un succès massif. Cette popularité souligne une méfiance croissante envers les informations officielles.

Le documentaire indépendant Hold-up qui prétend faire la vérité sur la gestion de la pandémie de Covid-19 en France et dénonce une conspiration mondiale, connaît un succès ahurissant depuis son lancement. Un véritable chef d’œuvre du genre complotiste, en forme de bouffée délirante, dont l’incroyable succès montre une véritable déchéance de l’esprit rationnel dans un pays qui a pourtant vu naître Descartes et Pasteur.

Un accès de complotisme nourri par la gestion de crise calamiteuse du printemps

Notons tout d’abord à regret que la communication du gouvernement au printemps dernier a fait le lit, comme c’était prévisible, des discours complotistes. « Hold Up » s’appuie ainsi notamment sur les nombreuses déclarations de responsables publics d’avril dernier appelant la population à ne pas se masquer. Des consignes qui, avec le recul et dans le contexte actuel, paraissent au mieux dissonantes, si ce n’est carrément odieuses. Mais qui pourrait nier qu’elles n’aient pas été prononcées, souvent en dépit du bon sens ou des avis des autorités de santé en France et dans le reste du monde ?

En s’obstinant à nier les pénuries d’équipements sanitaires au printemps malgré l’évidence manifeste, en niant l’efficacité des masques avant de le rendre obligatoire quelques mois plus tard (jusqu’à demander que ceux-ci soient portés à domicile en présence de tiers), le gouvernement a fortement entamé sa crédibilité et ouvert la voie aux élucubrations les plus farfelues : l’existence d’un agenda caché autour du Covid-19, Bill Gates et la 5G, les nano-particules injectées dans l’organisme, l’asservissement des « inutiles » condamnés à acheter des iPhone 12 et à remplir leurs caddies ou encore le « Grand Reset » du Forum Économique Mondial. Pourquoi cela ne serait-il pas vrai si l’Etat ment depuis le début ?

Défiance sans précédent dans l’opinion à l’égard de la vaccination

Sur la base de ce mensonge initial, seulement désavoué le 28 octobre dernier par Emmanuel Macron dans son allocution annonçant le reconfinement, ont prospéré tous les fantasmes. Nombreux sont ceux qui ont vu dans l’obligation du port du masque le signe d’une future « injonction vaccinale » généralisée – tandis que les esprits les plus retors se demandaient à qui profitera le crime. A “Big pharma” ? Au gouvernement mondial ? A la dictature « sanitaire » et aux « vendus des hautes sphères » ? Aux Américains ? A l’État profond ?

Les partis pris calamiteux de communication de crise du gouvernement (mais pas seulement ! N’en faisons pas le seul coupable) sont aussi à l’origine de la défiance sans précédent à l’égard de la vaccination contre le Covid-19 dans l’opinion française. Celle-ci augure de prochains mois compliqués, durant lesquels les autorités de santé, fortement déconsidérées dans l’opinion publique, devront (sans rire) expliquer pourquoi celles-ci ne cherchent pas à insérer des micro-puces RFID dans les artères des Français. Pourquoi la vaccination peut être un risque acceptable d’un point de vue individuel, mais aussi collectif. Et pourquoi la vie sociale et l’économie nationale ne se relèveraient pas d’un rejet massif du vaccin par les Français.

La bataille de l’opinion, déjà perdue maintes et maintes fois sur ce sujet, devra être menée encore et encore. Sans faire l’économie de répondre sans mépris aux craintes légitimes vis-à-vis des effets secondaires des nouveaux vaccins et en statuant sur la question de la liberté individuelle. Un dernier sujet qui concentre l’essentiel des réactions hostiles à l’égard de la vaccination et prospère dans cet angle mort du débat sur le sujet, alors que celles-ci se sont réduites à peau de chagrin ces derniers mois dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire.

Le précédent Loose Change

La difficulté avec ce documentaire, ce qui le rend manifestement d’ailleurs si efficace et rend dans le même temps son fact checking si éprouvant, ce n’est pas l’accumulation du franchement faux, que l’on pourrait balayer d’un revers de la main. Plutôt l’empilement du vraisemblable, du plausible, du pas tout à fait vrai, du légèrement inexact, et, surplombant l’ensemble de l’édifice, l’interprétation générale des faits avancés, s’inscrivant dans des grilles de lecture pas forcément complotistes au départ. De quoi faire écho, forcément, à la série de documentaires indépendants intitulée Loose Change, dont la première version réalisée par Dylan Avery est sortie en 2005. À l’époque du web social naissant, Loose Change proposait une lecture conspirationniste des attentats du 11 septembre 2001. La force de Loose Change, véritable phénomène viral du mitan de la première décennie des années 2000, résidait dans sa capacité à saturer le spectateur de faits plus ou moins probants, d’analyses de documents tendant à étayer leur vision des événements, le tout renforcé par une voix off cherchant à apposer sur ces explications erratiques une grille de lecture d’expert, ou a minima à en singer la posture. Un agrégat, plus ou moins instable, chimiquement impur, mais n’en constituant pas moins l’une des principaux vecteurs au service de la diffusion de thèse de l’inside job, ou opération intérieure, selon laquelle les attentats du 11 septembre aurait été fomentée avec la complicité de l’administration Bush. D’autres documentaires indépendants et autres vidéos amateurs sont venus, par la suite, s’ajouter à ce terreau alternatif particulièrement fertile, à grand renfort d’intervention d’expert, notamment pour étayer la célèbre hypothèse d’une démolition contrôlée des tours, tandis que des personnalités, plus ou moins médiatiques, ne manquèrent pas, avec naïveté bien souvent, de se faire le porte-voix de ces discours. Autant de phénomènes qui remontent à la surface, depuis la mise en ligne du documentaire Hold-Up.

Trahison des clercs

On aurait tort du reste de faire de cet accès de complotisme un acte de défiance à l’égard de la science, sous prétexte de remise en cause des responsables en charge de la gestion de crise. Les blouses blanches et les doctes intervenants qui se succèdent devant la caméra se gonflent parfois de titres importants : médecins, ancien ministre, chercheur, et même un prix Nobel de médecine. Comme nous l’avions déjà écrit par ailleurs, cette crise du Covid-19 n’est pas tant une crise de l’autorité scientifique qu’une trahison des clercs – qui, sans le moindre égard pour leur déontologie de recherche, et pour les conséquences y compris sanitaires de leurs propos – présentent leurs opinions personnelles comme des informations éprouvées scientifiquement. S’abstenant au passage de jamais apporter la moindre preuve à ce qu’ils avancent, comme s’ils devaient être crus sur parole, à l’instar de la sociologue Monique Pinçon-Charlot pour qui la gestion de la pandémie serait une « troisième guerre mondiale » menée par les « riches » contre les « pauvres ». Rien de moins.

Ce brouillage des pistes entre opinion et faits sourcés n’est pas un événement nouveau, mais l’une des constituantes lourdes du nouveau paysage de l’information. Celui-ci est devenu permanent sur les plateaux de télévision et sur le web, sur lesquels la moindre starlette peut prétendre disserter doctement sur les lois de la thermodynamique ou sur les effets pour la santé des ondes électromagnétiques. Kim Glow (1 million d’abonnés sur Instagram) affirmant dans une vidéo que les futurs vaccins (tous laboratoire confondus, ceux-ci étant nécessairement de mèches) seront constitués de nano-puces, n’a pourtant rien inventé elle-même. Peut-on lui jeter la pierre quand certains médecins ont tenu avant elle ce type de discours délirants ?

Le documentaire indépendant Hold-up qui prétend faire la vérité sur la gestion de la pandémie de Covid-19 en France et dénonce une conspiration mondiale, connaît un succès ahurissant depuis son lancement. Un véritable chef d’œuvre du genre complotiste, en forme de bouffée délirante, dont l’incroyable succès montre une véritable déchéance de l’esprit rationnel dans un pays qui a pourtant vu naître Descartes et Pasteur.

Un accès de complotisme nourri par la gestion de crise calamiteuse du printemps

Notons tout d’abord à regret que la communication du gouvernement au printemps dernier a fait le lit, comme c’était prévisible, des discours complotistes. « Hold Up » s’appuie ainsi notamment sur les nombreuses déclarations de responsables publics d’avril dernier appelant la population à ne pas se masquer. Des consignes qui, avec le recul et dans le contexte actuel, paraissent au mieux dissonantes, si ce n’est carrément odieuses. Mais qui pourrait nier qu’elles n’aient pas été prononcées, souvent en dépit du bon sens ou des avis des autorités de santé en France et dans le reste du monde ?

En s’obstinant à nier les pénuries d’équipements sanitaires au printemps malgré l’évidence manifeste, en niant l’efficacité des masques avant de le rendre obligatoire quelques mois plus tard (jusqu’à demander que ceux-ci soient portés à domicile en présence de tiers), le gouvernement a fortement entamé sa crédibilité et ouvert la voie aux élucubrations les plus farfelues : l’existence d’un agenda caché autour du Covid-19, Bill Gates et la 5G, les nano-particules injectées dans l’organisme, l’asservissement des « inutiles » condamnés à acheter des iPhone 12 et à remplir leurs caddies ou encore le « Grand Reset » du Forum Économique Mondial. Pourquoi cela ne serait-il pas vrai si l’Etat ment depuis le début ?

Défiance sans précédent dans l’opinion à l’égard de la vaccination

Sur la base de ce mensonge initial, seulement désavoué le 28 octobre dernier par Emmanuel Macron dans son allocution annonçant le reconfinement, ont prospéré tous les fantasmes. Nombreux sont ceux qui ont vu dans l’obligation du port du masque le signe d’une future « injonction vaccinale » généralisée – tandis que les esprits les plus retors se demandaient à qui profitera le crime. A “Big pharma” ? Au gouvernement mondial ? A la dictature « sanitaire » et aux « vendus des hautes sphères » ? Aux Américains ? A l’État profond ?

Les partis pris calamiteux de communication de crise du gouvernement (mais pas seulement ! N’en faisons pas le seul coupable) sont aussi à l’origine de la défiance sans précédent à l’égard de la vaccination contre le Covid-19 dans l’opinion française. Celle-ci augure de prochains mois compliqués, durant lesquels les autorités de santé, fortement déconsidérées dans l’opinion publique, devront (sans rire) expliquer pourquoi celles-ci ne cherchent pas à insérer des micro-puces RFID dans les artères des Français. Pourquoi la vaccination peut être un risque acceptable d’un point de vue individuel, mais aussi collectif. Et pourquoi la vie sociale et l’économie nationale ne se relèveraient pas d’un rejet massif du vaccin par les Français.

La bataille de l’opinion, déjà perdue maintes et maintes fois sur ce sujet, devra être menée encore et encore. Sans faire l’économie de répondre sans mépris aux craintes légitimes vis-à-vis des effets secondaires des nouveaux vaccins et en statuant sur la question de la liberté individuelle. Un dernier sujet qui concentre l’essentiel des réactions hostiles à l’égard de la vaccination et prospère dans cet angle mort du débat sur le sujet, alors que celles-ci se sont réduites à peau de chagrin ces derniers mois dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire.

Le précédent Loose Change

La difficulté avec ce documentaire, ce qui le rend manifestement d’ailleurs si efficace et rend dans le même temps son fact checking si éprouvant, ce n’est pas l’accumulation du franchement faux, que l’on pourrait balayer d’un revers de la main. Plutôt l’empilement du vraisemblable, du plausible, du pas tout à fait vrai, du légèrement inexact, et, surplombant l’ensemble de l’édifice, l’interprétation générale des faits avancés, s’inscrivant dans des grilles de lecture pas forcément complotistes au départ. De quoi faire écho, forcément, à la série de documentaires indépendants intitulée Loose Change, dont la première version réalisée par Dylan Avery est sortie en 2005. À l’époque du web social naissant, Loose Change proposait une lecture conspirationniste des attentats du 11 septembre 2001. La force de Loose Change, véritable phénomène viral du mitan de la première décennie des années 2000, résidait dans sa capacité à saturer le spectateur de faits plus ou moins probants, d’analyses de documents tendant à étayer leur vision des événements, le tout renforcé par une voix off cherchant à apposer sur ces explications erratiques une grille de lecture d’expert, ou a minima à en singer la posture. Un agrégat, plus ou moins instable, chimiquement impur, mais n’en constituant pas moins l’une des principaux vecteurs au service de la diffusion de thèse de l’inside job, ou opération intérieure, selon laquelle les attentats du 11 septembre aurait été fomentée avec la complicité de l’administration Bush. D’autres documentaires indépendants et autres vidéos amateurs sont venus, par la suite, s’ajouter à ce terreau alternatif particulièrement fertile, à grand renfort d’intervention d’expert, notamment pour étayer la célèbre hypothèse d’une démolition contrôlée des tours, tandis que des personnalités, plus ou moins médiatiques, ne manquèrent pas, avec naïveté bien souvent, de se faire le porte-voix de ces discours. Autant de phénomènes qui remontent à la surface, depuis la mise en ligne du documentaire Hold-Up.

Trahison des clercs

On aurait tort du reste de faire de cet accès de complotisme un acte de défiance à l’égard de la science, sous prétexte de remise en cause des responsables en charge de la gestion de crise. Les blouses blanches et les doctes intervenants qui se succèdent devant la caméra se gonflent parfois de titres importants : médecins, ancien ministre, chercheur, et même un prix Nobel de médecine. Comme nous l’avions déjà écrit par ailleurs, cette crise du Covid-19 n’est pas tant une crise de l’autorité scientifique qu’une trahison des clercs – qui, sans le moindre égard pour leur déontologie de recherche, et pour les conséquences y compris sanitaires de leurs propos – présentent leurs opinions personnelles comme des informations éprouvées scientifiquement. S’abstenant au passage de jamais apporter la moindre preuve à ce qu’ils avancent, comme s’ils devaient être crus sur parole, à l’instar de la sociologue Monique Pinçon-Charlot pour qui la gestion de la pandémie serait une « troisième guerre mondiale » menée par les « riches » contre les « pauvres ». Rien de moins.

Ce brouillage des pistes entre opinion et faits sourcés n’est pas un événement nouveau, mais l’une des constituantes lourdes du nouveau paysage de l’information. Celui-ci est devenu permanent sur les plateaux de télévision et sur le web, sur lesquels la moindre starlette peut prétendre disserter doctement sur les lois de la thermodynamique ou sur les effets pour la santé des ondes électromagnétiques. Kim Glow (1 million d’abonnés sur Instagram) affirmant dans une vidéo que les futurs vaccins (tous laboratoire confondus, ceux-ci étant nécessairement de mèches) seront constitués de nano-puces, n’a pourtant rien inventé elle-même. Peut-on lui jeter la pierre quand certains médecins ont tenu avant elle ce type de discours délirants ?

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