1984 : quand la Chine réécrit les textes sacrés

Date

10 janvier 2020

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Résumé

Les succès matériels de la Chine reposent sur une totale discipline idéologique. Imposera-t-elle la correction du Coran et de la Bible ?

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10 janvier 2020

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Résumé

Les succès matériels de la Chine reposent sur une totale discipline idéologique. Imposera-t-elle la correction du Coran et de la Bible ?

Aucun pays libéral ne semble rivaliser avec les performances économiques chinoises. Explosion du PIB, capacités d’investissement planétaires et pharaoniques des « nouvelles routes de la soie », prédominance dans le domaine du numérique, de l’Intelligence artificielle, bientôt du spatial et des drones… En quelques années.

Derrière ces succès, l’alliance entre capitalistes et État en un modèle volontariste où le parti lance les changements. Il veut battre le système occidental sur son terrain sans être contaminé par ses mœurs et idées. Cela suppose une base idéologique ferme : socialisme de marché, prédominance du politique sur l’économique, nationalisme (valeurs « chinoises »),références formelles au marxisme léninisme (sinisé et modernisé par la pensée Xi Jinping)… Plus l’héritage : le confucianisme, facteur d’harmonie, n’est plus mal vu, le bouddhisme, pourvu qu’il ne soit pas tibétain, acceptable… La pensée Xi Jinping évoque aussi la tradition dite des légistes : diriger le peuple par la récompense et le châtiment(ce qui nous renvoie quand même au 2° siècle avant notre ère).

De l’idéologie synthèse chinoise, nous savons surtout ce qu’elle combat. Surtout la division et la critique : élimination de la secte Fan Lungong, préservation envers le soft power étranger, rééducation des indépendantistes musulmans, contrôle des réseaux sociaux derrière la « grande muraille de feu ». Le tout sans complexe. La déviation est ciblée comme la faute sociale, grâce aux outils de connaissance de la population notamment numériques (tout fait trace) et à l’IA (chacun est prévisible). Les techniques pour décider ce qui atteindra le cerveau (largement héritées des technologies occidentales) plus la propagande classique, les techniques pour remplir le cerveau, le tout ouvertement. Des réseaux sociaux aux chartes des universités. La réussite pratique, la tradition et le projet du parti forment ainsi une triple justification au contrôle des esprits. Mais que faire face à la plus sacrée des autorités, Dieu, la transcendance ?

Siniser la parole

Alternant négociations (avec le pape, par exemple), et sanctions, Pékin sait gérer la question des corps religieux et des pratiques. Reste celle du corpus : qu’opposer à la parole divine ? Réponse : la traduction qui vaille réinterprétation. Une récente déclaration du parti préconise la révision des versions chinoises des textes sacrés. Mais bien orientées. A priori il s’agirait de la Bible et du Coran. Le problème des sutras bouddhiques acceptables par le politique semble réglé depuis le septième siècle (avec l’aventure du grand pèlerin traducteur Xuan Zang).

Jusqu’où siniser une parole qui, pour le croyant, émane directement de Dieu comme le Coran (éternel incréé suivant certains) ? Ou la Bible (élaboration humaine inspirée puis canonisée sur neuf siècles) ? Les nuances entre hébreu ou grec et mandarin ou entre l’arabe coranique et le pinyin nous échappent, mais l’ampleur de la tâche rend songeur. Comment rendre « Rendez à dieu ce qui est à Dieu et à César ce qui est à César », pour prendre le premier cas qui vient à l’esprit : il n’y a déjà pas de mot chinois pour Dieu en tant que notion abstraite, et César peut-il être assimilé au Secrétaire général ? Ou encore à quoi équivaut la prescription coranique de ne pas donner d’ « associé » à Dieu ? Pas de déviationnisme ?

Jouera-t-on ici de la polysémie des idéogrammes ? La traduction changera-t-elle le sens des paraboles ou le contenu des hadiths ? Fera-t-elle de la contextualisation (comme nous disons en Occident pour les livres sulfureux), afin de suggérer la bonne interprétation ? Avec anachronismes et paralogismes.

Dans 1984, le héros Winston Smith réécrivait l’Histoire pour la rendre conforme à la ligne du parti. Mais il ne s’agissait que de faits qui s’étaient ou pas déroulés. Cette fois ce sont des abstractions, dogmes et prescriptions, que vont corriger les bureaucrates à dictionnaires. Qui contrôle le glossaire contrôle le sens, qui contrôle le sens contrôle les gens.

Aucun pays libéral ne semble rivaliser avec les performances économiques chinoises. Explosion du PIB, capacités d’investissement planétaires et pharaoniques des « nouvelles routes de la soie », prédominance dans le domaine du numérique, de l’Intelligence artificielle, bientôt du spatial et des drones… En quelques années.

Derrière ces succès, l’alliance entre capitalistes et État en un modèle volontariste où le parti lance les changements. Il veut battre le système occidental sur son terrain sans être contaminé par ses mœurs et idées. Cela suppose une base idéologique ferme : socialisme de marché, prédominance du politique sur l’économique, nationalisme (valeurs « chinoises »),références formelles au marxisme léninisme (sinisé et modernisé par la pensée Xi Jinping)… Plus l’héritage : le confucianisme, facteur d’harmonie, n’est plus mal vu, le bouddhisme, pourvu qu’il ne soit pas tibétain, acceptable… La pensée Xi Jinping évoque aussi la tradition dite des légistes : diriger le peuple par la récompense et le châtiment(ce qui nous renvoie quand même au 2° siècle avant notre ère).

De l’idéologie synthèse chinoise, nous savons surtout ce qu’elle combat. Surtout la division et la critique : élimination de la secte Fan Lungong, préservation envers le soft power étranger, rééducation des indépendantistes musulmans, contrôle des réseaux sociaux derrière la « grande muraille de feu ». Le tout sans complexe. La déviation est ciblée comme la faute sociale, grâce aux outils de connaissance de la population notamment numériques (tout fait trace) et à l’IA (chacun est prévisible). Les techniques pour décider ce qui atteindra le cerveau (largement héritées des technologies occidentales) plus la propagande classique, les techniques pour remplir le cerveau, le tout ouvertement. Des réseaux sociaux aux chartes des universités. La réussite pratique, la tradition et le projet du parti forment ainsi une triple justification au contrôle des esprits. Mais que faire face à la plus sacrée des autorités, Dieu, la transcendance ?

Siniser la parole

Alternant négociations (avec le pape, par exemple), et sanctions, Pékin sait gérer la question des corps religieux et des pratiques. Reste celle du corpus : qu’opposer à la parole divine ? Réponse : la traduction qui vaille réinterprétation. Une récente déclaration du parti préconise la révision des versions chinoises des textes sacrés. Mais bien orientées. A priori il s’agirait de la Bible et du Coran. Le problème des sutras bouddhiques acceptables par le politique semble réglé depuis le septième siècle (avec l’aventure du grand pèlerin traducteur Xuan Zang).

Jusqu’où siniser une parole qui, pour le croyant, émane directement de Dieu comme le Coran (éternel incréé suivant certains) ? Ou la Bible (élaboration humaine inspirée puis canonisée sur neuf siècles) ? Les nuances entre hébreu ou grec et mandarin ou entre l’arabe coranique et le pinyin nous échappent, mais l’ampleur de la tâche rend songeur. Comment rendre « Rendez à dieu ce qui est à Dieu et à César ce qui est à César », pour prendre le premier cas qui vient à l’esprit : il n’y a déjà pas de mot chinois pour Dieu en tant que notion abstraite, et César peut-il être assimilé au Secrétaire général ? Ou encore à quoi équivaut la prescription coranique de ne pas donner d’ « associé » à Dieu ? Pas de déviationnisme ?

Jouera-t-on ici de la polysémie des idéogrammes ? La traduction changera-t-elle le sens des paraboles ou le contenu des hadiths ? Fera-t-elle de la contextualisation (comme nous disons en Occident pour les livres sulfureux), afin de suggérer la bonne interprétation ? Avec anachronismes et paralogismes.

Dans 1984, le héros Winston Smith réécrivait l’Histoire pour la rendre conforme à la ligne du parti. Mais il ne s’agissait que de faits qui s’étaient ou pas déroulés. Cette fois ce sont des abstractions, dogmes et prescriptions, que vont corriger les bureaucrates à dictionnaires. Qui contrôle le glossaire contrôle le sens, qui contrôle le sens contrôle les gens.

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