À fleur de peau
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Résumé
Nous nous réveillons donc en ce matin de printemps sans repère émotionnel ni rationnel. Notre système 1 est surchargé d’émotions négatives et notre système 2 tourne à plein mais sans contact clair avec les faits, sans capacité à fonder des vérités et sans construction aisée d’un récit commun.
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Nous nous réveillons donc en ce matin de printemps sans repère émotionnel ni rationnel. Notre système 1 est surchargé d’émotions négatives et notre système 2 tourne à plein mais sans contact clair avec les faits, sans capacité à fonder des vérités et sans construction aisée d’un récit commun.
« La pluie, enveloppante, ombrage / L’espace, les bois, la prairie, / Et forme sur le paysage / Une cage en verroterie. / C’est la pluie allègre d’avril, / Elle est mince, dansante et lâche / Comme des perles sur un fil. / Elle est joyeuse ! (…) Le soleil renaît, résolu. / — Que l’air est bon quand il a plu ! / (…) Tout éclate de bonne chance ! ». Nous aspirons tous à nous réveiller, certes avec la vague impression d’avoir fait un cauchemar nocturne, dans ce beau « Matin de Printemps » que nous offre la poétesse Anna de Noailles.
Hélas non. Deux tiers des Français disent avoir rencontré des problèmes de sommeil dans les 8 derniers jours (CoviPrev). Dix-huit pour cent ressentent de l’anxiété. Les émotions fortes, négatives, la peur, la colère, sont présentes partout. Les travailleurs ont vu l’impact des mesures de sécurité sur leur façon de travailler. Les télétravailleurs ressentent une étrange surcharge et une usure émotionnelle. Les invectives vont bon train sur les réseaux sociaux : nous sommes à fleur de peau.
Mais si notre cerveau intuitif et émotionnel, le « système 1 » cher au prix Nobel Daniel Kahneman, est en surcharge, peut-être que sa partie la plus rationnelle, le « système 2 », fonctionne parfaitement ? Hélas, la situation est peut-être encore plus éruptive à ce niveau-là. Ceux qui s’intéressent à la diffusion des théories du complot ont suivi l’impressionnante diffusion, aux Etats-Unis, d’un petit film, intitulé « Plandemic » (de « plan » et « pandemic »), qui résume assez bien plusieurs des schèmes complotistes dominants. Avant que les plateformes suppriment cette vidéo, elle avait été vu plus de 8 millions de fois en une semaine et likée, partagée ou commentée 2,5 millions de fois sur Facebook en quelques jours, le record absolu de ce mois de mai 2020. Le récit : une scientifique qui avait participé à la découverte du SIDA (évocation de Luc Montagnier) estime qu’Anthony Fauci (conseiller la Maison Blanche sur la crise du coronavirus aux États-Unis) cherche à laisser répandre le coronavirus afin d’imposer au public des vaccins brevetés et onéreux. Le schème est assez proche des attaques ciblant Bill Gates, la théorie du complot la plus présente, de très loin.
Tout ceci serait simple à traiter s’il n’y avait pas un problème spécifique avec les théories du complot, comme le note le psychologue Rob Brotherton dans un essai paru en mai : il existe des théories du complot qui se sont avérées vraies, même si elles paraissaient folles, caricaturales, sombres et excessives. Oui : un président d’une démocratie a bien fait espionner ses adversaires (Watergate), des services de renseignement ont bien expérimenté sur la manipulation mentale (MK-Ultra) ou versé dans le trafic de drogue (Iran-Contra), une université américaine a bien étudié les effets de la syphilis sur des personnes pendant plusieurs dizaines d’années en leur faisant croire qu’ils avaient été soignés (Tuskegee). Ajoutez à ceci le fait que le ministère de la Défense américain a choisi cette période bruyante pour authentifier trois vidéos d’objets volants non identifiés publiées par le New York Times ces dernières années (en laissant chacun fantasmer sur les causes de ces apparitions).
Revenons à notre coronavirus : faut-il croire la récente étude parue dans The Lancet (toujours soumise à des failles) ou les dernières interventions de Didier Raoult ? L’une des parties sera-t-elle capable d’emporter la victoire intellectuelle ? Il est plus probable que chaque camp contre-argumente sans fin et que nous soyons aujourd’hui dans un espace cognitif morcelé, dans lequel aucun récit ne peut dominer, ce que nous avons essayé de résumer par l’expression « Bûcher des Vérités » dans un essai récent, avec Guillaume Jubin.
Nous nous réveillons donc en ce matin de printemps sans repère émotionnel ni rationnel. Notre système 1 est surchargé d’émotions négatives et notre système 2 tourne à plein mais sans contact clair avec les faits, sans capacité à fonder des vérités et sans construction aisée d’un récit commun. Le terrain cognitif est volatile et rempli de ruptures. Les guerres culturelles sont ouvertes, sans qu’il soit aisé de trouver un terrain commun.
Dans ce contexte, que faire ? Les dirigeants doivent s’inspirer de la jolie pluie de printemps que nous a décrite Anna de Noailles. C’est possible ! Ils doivent mettre en place des récits enveloppants, comme cette pluie qui fait rayonner le paysage, c’està-dire proposer un discours commun, rappeler la raison d’être du collectif humain dont ils doivent prendre soin. Depuis quelques semaines, les initiatives n’ont pas manqué. Plusieurs entreprises ont proposé leurs raisons d’être (FDJ, Orange) ou leur mission (Danone). D’après la Febea (Fédération des Entreprises de Beauté), une cinquantaine d’entreprises du secteur cosmétique ont modifié leurs lignes de production pour fabriquer des solutions hydroalcooliques comme Air Liquide. Leurs récits doivent être protecteurs. Dans un contexte de guerres culturelles et d’un monde à fleur de peau, les affrontements politiques, économiques et sociaux seront nombreux : ils doivent surveiller les intrusions et attaques et ne pas laisser le paysage être troublé. Mais voici le plus important : leurs récits doivent être comme la pluie allègre d’Avril, « joyeuse », « dansante », ils faut aujourd’hui proposer un avenir commun positif, qui apporte des solutions face aux discours anxiogènes. Il est plus que temps de remettre de la joie dans les matins de printemps !
« La pluie, enveloppante, ombrage / L’espace, les bois, la prairie, / Et forme sur le paysage / Une cage en verroterie. / C’est la pluie allègre d’avril, / Elle est mince, dansante et lâche / Comme des perles sur un fil. / Elle est joyeuse ! (…) Le soleil renaît, résolu. / — Que l’air est bon quand il a plu ! / (…) Tout éclate de bonne chance ! ». Nous aspirons tous à nous réveiller, certes avec la vague impression d’avoir fait un cauchemar nocturne, dans ce beau « Matin de Printemps » que nous offre la poétesse Anna de Noailles.
Hélas non. Deux tiers des Français disent avoir rencontré des problèmes de sommeil dans les 8 derniers jours (CoviPrev). Dix-huit pour cent ressentent de l’anxiété. Les émotions fortes, négatives, la peur, la colère, sont présentes partout. Les travailleurs ont vu l’impact des mesures de sécurité sur leur façon de travailler. Les télétravailleurs ressentent une étrange surcharge et une usure émotionnelle. Les invectives vont bon train sur les réseaux sociaux : nous sommes à fleur de peau.
Mais si notre cerveau intuitif et émotionnel, le « système 1 » cher au prix Nobel Daniel Kahneman, est en surcharge, peut-être que sa partie la plus rationnelle, le « système 2 », fonctionne parfaitement ? Hélas, la situation est peut-être encore plus éruptive à ce niveau-là. Ceux qui s’intéressent à la diffusion des théories du complot ont suivi l’impressionnante diffusion, aux Etats-Unis, d’un petit film, intitulé « Plandemic » (de « plan » et « pandemic »), qui résume assez bien plusieurs des schèmes complotistes dominants. Avant que les plateformes suppriment cette vidéo, elle avait été vu plus de 8 millions de fois en une semaine et likée, partagée ou commentée 2,5 millions de fois sur Facebook en quelques jours, le record absolu de ce mois de mai 2020. Le récit : une scientifique qui avait participé à la découverte du SIDA (évocation de Luc Montagnier) estime qu’Anthony Fauci (conseiller la Maison Blanche sur la crise du coronavirus aux États-Unis) cherche à laisser répandre le coronavirus afin d’imposer au public des vaccins brevetés et onéreux. Le schème est assez proche des attaques ciblant Bill Gates, la théorie du complot la plus présente, de très loin.
Tout ceci serait simple à traiter s’il n’y avait pas un problème spécifique avec les théories du complot, comme le note le psychologue Rob Brotherton dans un essai paru en mai : il existe des théories du complot qui se sont avérées vraies, même si elles paraissaient folles, caricaturales, sombres et excessives. Oui : un président d’une démocratie a bien fait espionner ses adversaires (Watergate), des services de renseignement ont bien expérimenté sur la manipulation mentale (MK-Ultra) ou versé dans le trafic de drogue (Iran-Contra), une université américaine a bien étudié les effets de la syphilis sur des personnes pendant plusieurs dizaines d’années en leur faisant croire qu’ils avaient été soignés (Tuskegee). Ajoutez à ceci le fait que le ministère de la Défense américain a choisi cette période bruyante pour authentifier trois vidéos d’objets volants non identifiés publiées par le New York Times ces dernières années (en laissant chacun fantasmer sur les causes de ces apparitions).
Revenons à notre coronavirus : faut-il croire la récente étude parue dans The Lancet (toujours soumise à des failles) ou les dernières interventions de Didier Raoult ? L’une des parties sera-t-elle capable d’emporter la victoire intellectuelle ? Il est plus probable que chaque camp contre-argumente sans fin et que nous soyons aujourd’hui dans un espace cognitif morcelé, dans lequel aucun récit ne peut dominer, ce que nous avons essayé de résumer par l’expression « Bûcher des Vérités » dans un essai récent, avec Guillaume Jubin.
Nous nous réveillons donc en ce matin de printemps sans repère émotionnel ni rationnel. Notre système 1 est surchargé d’émotions négatives et notre système 2 tourne à plein mais sans contact clair avec les faits, sans capacité à fonder des vérités et sans construction aisée d’un récit commun. Le terrain cognitif est volatile et rempli de ruptures. Les guerres culturelles sont ouvertes, sans qu’il soit aisé de trouver un terrain commun.
Dans ce contexte, que faire ? Les dirigeants doivent s’inspirer de la jolie pluie de printemps que nous a décrite Anna de Noailles. C’est possible ! Ils doivent mettre en place des récits enveloppants, comme cette pluie qui fait rayonner le paysage, c’està-dire proposer un discours commun, rappeler la raison d’être du collectif humain dont ils doivent prendre soin. Depuis quelques semaines, les initiatives n’ont pas manqué. Plusieurs entreprises ont proposé leurs raisons d’être (FDJ, Orange) ou leur mission (Danone). D’après la Febea (Fédération des Entreprises de Beauté), une cinquantaine d’entreprises du secteur cosmétique ont modifié leurs lignes de production pour fabriquer des solutions hydroalcooliques comme Air Liquide. Leurs récits doivent être protecteurs. Dans un contexte de guerres culturelles et d’un monde à fleur de peau, les affrontements politiques, économiques et sociaux seront nombreux : ils doivent surveiller les intrusions et attaques et ne pas laisser le paysage être troublé. Mais voici le plus important : leurs récits doivent être comme la pluie allègre d’Avril, « joyeuse », « dansante », ils faut aujourd’hui proposer un avenir commun positif, qui apporte des solutions face aux discours anxiogènes. Il est plus que temps de remettre de la joie dans les matins de printemps !
Quand ceux qui n’ont plus rien partagent le symbole du grotesque et de la vengeance, leur défi nihiliste nous annonce un singulier retour du conflit.
Le chiffre global tétanise : 33.769 attentats «islamistes» (se réclamant d’un projet d’établissement de la charia et/ou du califat) ont couté la vie à au moins 167.096 personnes.
Les black blocs, groupe affinitaire et temporaire, excellent dans la programmation numérique de l’action physique. Nihilisme symbolique et individualisme surexcité, le tout sur fond de communautés numériques : c’est bien la troisième génération de la révolte dont parle Régis Debray : sans contre-projet, mais dans l’action comme révélation de soi.
Quand l’Iran se coupe de la Toile pour isoler ses activistes, il révèle une fracture bien plus profonde.