Les sept corps d’al-Baghdadi
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Résumé
Tout le monde l’a dit : la fin du chef n’est pas celle de l’État islamique, et certainement pas celle de la terreur. Mais il nous reste sans doute à comprendre qu’il est plus facile de chasser les criminels que de maîtriser les symboles.
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Tout le monde l’a dit : la fin du chef n’est pas celle de l’État islamique, et certainement pas celle de la terreur. Mais il nous reste sans doute à comprendre qu’il est plus facile de chasser les criminels que de maîtriser les symboles.
Faute d’avoir eu sept vies (même si sa mort fut annoncée à tort plusieurs fois), al Baghdadi semble avoir eu sept corps.
Il y a d’abord son corps filmé, parfois en majesté, toujours avec parcimonie, alors qu’il entendait commander tous les vrais croyants et demain convertir la Terre. La rareté de ses apparitions vidéo lui valut le surnom de calife invisible, en tout cas bien moins présent en ligne et moins narcissique qu’un Ben Laden ou un Zawahiri. Et pourtant cet homme a dirigé plusieurs années un État de fait grand comme le Royaume-Uni par l’étonnant pouvoir de l’absence, au moins des écrans.
Al Baghdadi et le chien
Ce corps était traqué. Faites comme Saddam, faites comme ben Laden, faites comme al Baghdadi, mais ils vous auront. N’utilisez plus Internet, jetez vos téléphones, déplacez vous sans cesse… Quelqu’un parlera, une trace subsistera, un dispositif technique vous repérera. Un algorithme vous identifiera depuis la Virginie, un indic du village voisin vous balancera. Incapables peut-être de gagner les guerres (ou du moins les paix qui doivent s’ensuivre), les Américains sont meilleurs chasseurs.
Le corps du calife, wanted dead or alive, était condamné et il le savait. Pas de souverain qui ne risque une fin tragique. D’autant que la doctrine de Daech, sombre et millénariste, enseigne que les batailles apparemment perdues (comme la chute de Raqqa) pourraient n’être qu’une épreuve divine avant la victoire finale. Et que ceux qui périssent pour la cause reviennent en gloire. On imagine mal qu’al Baghdadi qui prêchait le martyre n’y ait pas songé. Ni que la fonction mystique et politique à laquelle il prétendait n’impose une succession.
Ce corps fut déchiré par le gilet explosif qu’il portait et sans doute par un chien. Pour Trump, qui suivait les détails par écran interposé depuis Washington, et en a fait le storytelling, c’est une preuve de lâcheté : le calife aurait pleurniché avant de se faire sauter et, coursé par un chien, il ne valait pas mieux qu’un chien, pas un tough guy.
Mais pour ses partisans al Baghdadi sera un martyr, mort au combat. Et l’humiliation – l’image du « chien » gibier d’un chien suggérée par Trump qui tweete même la photo du toutou – ne découragera pas un jihadiste dans le monde. Pour lui, cela restera un corps sacrifié. Tout ce qui est négatif pour nous se retourne en positif pour eux, et inversement.
Ce corps fut identifié : il a fallu prouver comme dans une série TV que c’était le bon, le bon A.D.N. Donc recueillir un bout du cadavre, en extraire quelques séquences sur un interminable ruban de gènes, et comparer à distance à une base de données. Passons sur la manière d’opérer en un temps si bref : on dit que c’est techniquement possible et que d’ailleurs – détail atroce – l’ADN avait été pré-analysé sur un sous-vêtement, récupéré peu avant. Toujours est-il que l’ordinateur a cliqué : les allèles (fraction d’Adn susceptibles de varier et qui sont analysés) correspondent. Nous avons le bon, nous avons la preuve physique et numérique. Qu’importe après ce qu’imagineront les complotistes.
Immerger le corps
Enfin ce corps fut immergé. Comme celui de ben Laden en 2011. Parce que Trump voulait imiter et surpasser Obama en tous points ? Parce que la dépouille ramenée aux USA aurait été un cadeau encombrant : où le cacher, comment empêcher que des fanatiques ne cherchent à le récupérer, que ne naisse un lieu de culte, etc. ? Pour faire plus simple, on a balancé les restes là où personne ne pourra les retrouver : au fond des mers. D’al Baghdadi resteront sans doute deux morceaux dans deux éprouvettes : celui qui a servi à l’identifier et l’échantillon comparatif rangé dans un tiroir et qui attendait son match.
Tout le monde l’a dit : la fin du chef n’est pas celle de l’État islamique, et certainement pas celle de la terreur. Mais il nous reste sans doute à comprendre qu’il est plus facile de chasser les criminels que de maîtriser les symboles.
Faute d’avoir eu sept vies (même si sa mort fut annoncée à tort plusieurs fois), al Baghdadi semble avoir eu sept corps.
Il y a d’abord son corps filmé, parfois en majesté, toujours avec parcimonie, alors qu’il entendait commander tous les vrais croyants et demain convertir la Terre. La rareté de ses apparitions vidéo lui valut le surnom de calife invisible, en tout cas bien moins présent en ligne et moins narcissique qu’un Ben Laden ou un Zawahiri. Et pourtant cet homme a dirigé plusieurs années un État de fait grand comme le Royaume-Uni par l’étonnant pouvoir de l’absence, au moins des écrans.
Al Baghdadi et le chien
Ce corps était traqué. Faites comme Saddam, faites comme ben Laden, faites comme al Baghdadi, mais ils vous auront. N’utilisez plus Internet, jetez vos téléphones, déplacez vous sans cesse… Quelqu’un parlera, une trace subsistera, un dispositif technique vous repérera. Un algorithme vous identifiera depuis la Virginie, un indic du village voisin vous balancera. Incapables peut-être de gagner les guerres (ou du moins les paix qui doivent s’ensuivre), les Américains sont meilleurs chasseurs.
Le corps du calife, wanted dead or alive, était condamné et il le savait. Pas de souverain qui ne risque une fin tragique. D’autant que la doctrine de Daech, sombre et millénariste, enseigne que les batailles apparemment perdues (comme la chute de Raqqa) pourraient n’être qu’une épreuve divine avant la victoire finale. Et que ceux qui périssent pour la cause reviennent en gloire. On imagine mal qu’al Baghdadi qui prêchait le martyre n’y ait pas songé. Ni que la fonction mystique et politique à laquelle il prétendait n’impose une succession.
Ce corps fut déchiré par le gilet explosif qu’il portait et sans doute par un chien. Pour Trump, qui suivait les détails par écran interposé depuis Washington, et en a fait le storytelling, c’est une preuve de lâcheté : le calife aurait pleurniché avant de se faire sauter et, coursé par un chien, il ne valait pas mieux qu’un chien, pas un tough guy.
Mais pour ses partisans al Baghdadi sera un martyr, mort au combat. Et l’humiliation – l’image du « chien » gibier d’un chien suggérée par Trump qui tweete même la photo du toutou – ne découragera pas un jihadiste dans le monde. Pour lui, cela restera un corps sacrifié. Tout ce qui est négatif pour nous se retourne en positif pour eux, et inversement.
Ce corps fut identifié : il a fallu prouver comme dans une série TV que c’était le bon, le bon A.D.N. Donc recueillir un bout du cadavre, en extraire quelques séquences sur un interminable ruban de gènes, et comparer à distance à une base de données. Passons sur la manière d’opérer en un temps si bref : on dit que c’est techniquement possible et que d’ailleurs – détail atroce – l’ADN avait été pré-analysé sur un sous-vêtement, récupéré peu avant. Toujours est-il que l’ordinateur a cliqué : les allèles (fraction d’Adn susceptibles de varier et qui sont analysés) correspondent. Nous avons le bon, nous avons la preuve physique et numérique. Qu’importe après ce qu’imagineront les complotistes.
Immerger le corps
Enfin ce corps fut immergé. Comme celui de ben Laden en 2011. Parce que Trump voulait imiter et surpasser Obama en tous points ? Parce que la dépouille ramenée aux USA aurait été un cadeau encombrant : où le cacher, comment empêcher que des fanatiques ne cherchent à le récupérer, que ne naisse un lieu de culte, etc. ? Pour faire plus simple, on a balancé les restes là où personne ne pourra les retrouver : au fond des mers. D’al Baghdadi resteront sans doute deux morceaux dans deux éprouvettes : celui qui a servi à l’identifier et l’échantillon comparatif rangé dans un tiroir et qui attendait son match.
Tout le monde l’a dit : la fin du chef n’est pas celle de l’État islamique, et certainement pas celle de la terreur. Mais il nous reste sans doute à comprendre qu’il est plus facile de chasser les criminels que de maîtriser les symboles.
Nous avons un quart de siècle de recul à la fois pour mesurer l’efficacité d’une intention et juger de sa cohérence. Ce qui pourrait se formuler ainsi : comment a-t-on « scientifiquement » défini la valeur universelle pour en faire une catégorie juridique ? Plus malicieusement : comment des représentants d’États ont-ils parlé au nom de l’humanité ou des générations futures et oublié leurs intérêts nationaux ou leurs revendications identitaires ? Plus médiologiquement : comment une organisation matérialisée (le Comité qui établit la liste, des ONG, des experts qui le conseillent…) a-t-elle transformé une croyance générale en fait pratique ? Comment est-on passé de l’hyperbole au règlement ? De l’idéal à la subvention ?
En venant briser la réputation et l’autorité d’un candidat, en venant saper les fondements du discours officiel et légitime d’un État, les fake news et autres logiques de désinformation, viennent mettre au jour l’idée d’un espace public souverain potentiellement sous influence d’acteurs exogènes.
Nos sociétés de l'information exaltent volontiers la transparence. En politique, elle doit favoriser la gouvernance : plus d'ententes clandestines, de manoeuvres antidémocratiques obscures, d'intérêts occultes, de crimes enfouis. En économie, on voit en elle une garantie contre les défauts cachés, les erreurs et les tricheries, donc un facteur de sécurité et de progrès. Et, moralement, la transparence semble garantir la confiance entre ceux qui n'ont rien à se reprocher. Dans ces conditions, il est difficile de plaider pour le secret. Ou au moins pour sa persistance, voire sa croissance. Et pourtant...
L’image de citadelle assiégée renvoyée par Madrid au moment de la crise catalane soulève de nombreuses questions, et interroge sur la propension que peuvent avoir certains acteurs politiques à tendre vers des logiques d’exception au nom d’une lutte contre une menace informationnelle et/ou pour défendre un système démocratique en proie à de prétendues attaques exogènes.