François-Bernard Huyghe : « Les élites semblent découvrir que la guerre économique existe »
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Après la rupture par l’Australie d’un contrat portant sur la livraison par la France de 12 sous-marins conventionnels, le président de l’Observatoire stratégique de l’information François-Bernard Huyghe analyse la dimension stratégique et informationnelle de ce revers commercial et diplomatique.
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Après la rupture par l’Australie d’un contrat portant sur la livraison par la France de 12 sous-marins conventionnels, le président de l’Observatoire stratégique de l’information François-Bernard Huyghe analyse la dimension stratégique et informationnelle de ce revers commercial et diplomatique.
Après la rupture par l’Australie d’un contrat portant sur la livraison par la France de 12 sous-marins conventionnels, le président de l’Observatoire stratégique de l’information François-Bernard Huyghe analyse la dimension stratégique et informationnelle de ce revers commercial et diplomatique.
L’annulation du méga-contrat australien est-elle révélatrice d’une faillite stratégique française ?
François-Bernard Huyghe : Oui sur plusieurs plans. Le renseignement d’abord : nous sommes tombés des nues, nous n’avions, paraît-il, rien vu venir. Or, comme disait Napoléon, à la guerre, il est excusable d’être battu, mais pas d’être surpris.
C’est toute notre stratégie d’influence dans la zone Indo-Pacifique qui est mise en cause (et pas seulement nos méthodes de négociation commerciale ou de soutien diplomatique). C’est une zone où nous avons des territoires (Mayotte, Nouvelle-Calédonie, Wallis-et-Futuna, etc…), 7000 soldats, des navires etc. Imaginons que le référendum de décembre en Nouvelle- Calédonie voie triompher l’indépendance, pensons une seconde qui pourrait en profiter.
Enfin, il y a une dimension symbolique. Face à une réaction française très forte et des propos très durs de Jean-Yves Le Drian – et sur la forme et sur le fond – , Biden n’a guère changé son week-end et nos partenaires nous traitent avec ce qu’il faut bien appeler un certain mépris : business is business, de quoi s’énervent les grenouilles ? C’est peut-être cette placidité le pire.
Cette affaire peut-elle faire l’effet d’un électrochoc au sein des cercles dirigeants en France dans le sens d’une meilleure prise en considération de la guerre économique ?
F.-B. H. : Les élites semblent découvrir :
a) Que les nations ont des intérêts, pas des amis.
b) Que ce n’est pas gentil Biden, méchant Trump et que les démocrates ne nous admirent guère sinon comme destination touristique.
c) Que le projet de Biden de réinstaurer l’hégémonie US sur le monde libre et contre la Chine suppose des alliés obéissants et certainement pas des partenaires égaux (et d’ailleurs, en Afghanistan…).
d) Que la guerre économique existe, en effet.
e) Que nous aurions pu nous inquiéter plus tôt des révélations sur l’espionnage américain dans les années 90 (Echelon) ou au moment de l’affaire Snowden et, nous énerver, par exemple, que le portable de François Hollande soit écouté sous Obama.
f) Que nos alliés européens ne nous manifestent pas une solidarité très spectaculaire.
Mais ces élites sont tellement formatées…
Entre les menaces d’ingérence étrangères, la crise ouverte avec les Etats-Unis, l’Australie et le Royaume-Uni et le silence de l’UE, la France paraît de plus en plus isolée et vulnérable sur la scène mondiale. La France a-t-elle les ressources pour s’adapter à cette nouvelle donne géostratégique ?
F.-B. H. : Entre les USA qui nous traitent comme quantité négligeable, l’Otan qui est en état de mort cérébrale (dixit Macron) et la quête d’une autonomie stratégique pour une Europe de la défense sur laquelle même les plus indulgents ont des doutes (ainsi : l’Allemagne s’apprête à acheter des F18 américains), il nous faut en effet, nous réinterroger. Nos capacités militaires de souveraineté sont largement dépendantes de nos capacités d’exportation militaire, donc de notre stratégie et poids politique pour soutenir notre puissance économique. Et nous n’avons plus la même image qu’à l’époque du discours Dominique de Villepin à l’Onu.
Comment faire progresser une véritable culture de l’indépendance stratégique en France ? S’agit-il d’une bataille culturelle à mener ?
F.-B. H. : Largement culturelle, oui. Et cela commence dans les universités et les grandes écoles. Mais il faut aussi donner des exemples qui parlent au peuple : ainsi, dans cette affaire, une fois jouée ou surjouée la brouille, il faut faire un acte symbolique (certains suggèrent de requitter le commandement intégré de l’Otan, ce qui paraît utopique) mais en tout cas pas se contenter de paroles rassurantes. Marquer spectaculairement le coup une semaine pour rentrer dans le rang ne suffit pas, surtout dans la mesure où Macron va présider l’UE en janvier. Une proposition stratégique, mais laquelle ?
Ces enjeux peuvent-ils porter au cours de la prochaine élection présidentielle ?
F.-B. H. : Les candidats de droite ou vaguement souverainistes de gauche ont un boulevard pour critiquer Macron l’atlantiste qui n’est même pas un bon vendeur. Ils peuvent proposer des mesures de rétorsion que personne n’appliquera vraiment. Est-ce que cela pèsera vraiment sur le vote ? Nourrir le discours sur la France en déclin et qui doit repenser son identité et ses intérêts (avec une petite nostalgie gaullo-miterandienne) ? Je n’avais pas prévu que Zemmour passerait de 4 à 10 % dans les sondages en une semaine et polariserait le débat, alors, je ne regarde plus ma boule de cristal.
Après la rupture par l’Australie d’un contrat portant sur la livraison par la France de 12 sous-marins conventionnels, le président de l’Observatoire stratégique de l’information François-Bernard Huyghe analyse la dimension stratégique et informationnelle de ce revers commercial et diplomatique.
L’annulation du méga-contrat australien est-elle révélatrice d’une faillite stratégique française ?
François-Bernard Huyghe : Oui sur plusieurs plans. Le renseignement d’abord : nous sommes tombés des nues, nous n’avions, paraît-il, rien vu venir. Or, comme disait Napoléon, à la guerre, il est excusable d’être battu, mais pas d’être surpris.
C’est toute notre stratégie d’influence dans la zone Indo-Pacifique qui est mise en cause (et pas seulement nos méthodes de négociation commerciale ou de soutien diplomatique). C’est une zone où nous avons des territoires (Mayotte, Nouvelle-Calédonie, Wallis-et-Futuna, etc…), 7000 soldats, des navires etc. Imaginons que le référendum de décembre en Nouvelle- Calédonie voie triompher l’indépendance, pensons une seconde qui pourrait en profiter.
Enfin, il y a une dimension symbolique. Face à une réaction française très forte et des propos très durs de Jean-Yves Le Drian – et sur la forme et sur le fond – , Biden n’a guère changé son week-end et nos partenaires nous traitent avec ce qu’il faut bien appeler un certain mépris : business is business, de quoi s’énervent les grenouilles ? C’est peut-être cette placidité le pire.
Cette affaire peut-elle faire l’effet d’un électrochoc au sein des cercles dirigeants en France dans le sens d’une meilleure prise en considération de la guerre économique ?
F.-B. H. : Les élites semblent découvrir :
a) Que les nations ont des intérêts, pas des amis.
b) Que ce n’est pas gentil Biden, méchant Trump et que les démocrates ne nous admirent guère sinon comme destination touristique.
c) Que le projet de Biden de réinstaurer l’hégémonie US sur le monde libre et contre la Chine suppose des alliés obéissants et certainement pas des partenaires égaux (et d’ailleurs, en Afghanistan…).
d) Que la guerre économique existe, en effet.
e) Que nous aurions pu nous inquiéter plus tôt des révélations sur l’espionnage américain dans les années 90 (Echelon) ou au moment de l’affaire Snowden et, nous énerver, par exemple, que le portable de François Hollande soit écouté sous Obama.
f) Que nos alliés européens ne nous manifestent pas une solidarité très spectaculaire.
Mais ces élites sont tellement formatées…
Entre les menaces d’ingérence étrangères, la crise ouverte avec les Etats-Unis, l’Australie et le Royaume-Uni et le silence de l’UE, la France paraît de plus en plus isolée et vulnérable sur la scène mondiale. La France a-t-elle les ressources pour s’adapter à cette nouvelle donne géostratégique ?
F.-B. H. : Entre les USA qui nous traitent comme quantité négligeable, l’Otan qui est en état de mort cérébrale (dixit Macron) et la quête d’une autonomie stratégique pour une Europe de la défense sur laquelle même les plus indulgents ont des doutes (ainsi : l’Allemagne s’apprête à acheter des F18 américains), il nous faut en effet, nous réinterroger. Nos capacités militaires de souveraineté sont largement dépendantes de nos capacités d’exportation militaire, donc de notre stratégie et poids politique pour soutenir notre puissance économique. Et nous n’avons plus la même image qu’à l’époque du discours Dominique de Villepin à l’Onu.
Comment faire progresser une véritable culture de l’indépendance stratégique en France ? S’agit-il d’une bataille culturelle à mener ?
F.-B. H. : Largement culturelle, oui. Et cela commence dans les universités et les grandes écoles. Mais il faut aussi donner des exemples qui parlent au peuple : ainsi, dans cette affaire, une fois jouée ou surjouée la brouille, il faut faire un acte symbolique (certains suggèrent de requitter le commandement intégré de l’Otan, ce qui paraît utopique) mais en tout cas pas se contenter de paroles rassurantes. Marquer spectaculairement le coup une semaine pour rentrer dans le rang ne suffit pas, surtout dans la mesure où Macron va présider l’UE en janvier. Une proposition stratégique, mais laquelle ?
Ces enjeux peuvent-ils porter au cours de la prochaine élection présidentielle ?
F.-B. H. : Les candidats de droite ou vaguement souverainistes de gauche ont un boulevard pour critiquer Macron l’atlantiste qui n’est même pas un bon vendeur. Ils peuvent proposer des mesures de rétorsion que personne n’appliquera vraiment. Est-ce que cela pèsera vraiment sur le vote ? Nourrir le discours sur la France en déclin et qui doit repenser son identité et ses intérêts (avec une petite nostalgie gaullo-miterandienne) ? Je n’avais pas prévu que Zemmour passerait de 4 à 10 % dans les sondages en une semaine et polariserait le débat, alors, je ne regarde plus ma boule de cristal.
Nous avons un quart de siècle de recul à la fois pour mesurer l’efficacité d’une intention et juger de sa cohérence. Ce qui pourrait se formuler ainsi : comment a-t-on « scientifiquement » défini la valeur universelle pour en faire une catégorie juridique ? Plus malicieusement : comment des représentants d’États ont-ils parlé au nom de l’humanité ou des générations futures et oublié leurs intérêts nationaux ou leurs revendications identitaires ? Plus médiologiquement : comment une organisation matérialisée (le Comité qui établit la liste, des ONG, des experts qui le conseillent…) a-t-elle transformé une croyance générale en fait pratique ? Comment est-on passé de l’hyperbole au règlement ? De l’idéal à la subvention ?
En venant briser la réputation et l’autorité d’un candidat, en venant saper les fondements du discours officiel et légitime d’un État, les fake news et autres logiques de désinformation, viennent mettre au jour l’idée d’un espace public souverain potentiellement sous influence d’acteurs exogènes.
Nos sociétés de l'information exaltent volontiers la transparence. En politique, elle doit favoriser la gouvernance : plus d'ententes clandestines, de manoeuvres antidémocratiques obscures, d'intérêts occultes, de crimes enfouis. En économie, on voit en elle une garantie contre les défauts cachés, les erreurs et les tricheries, donc un facteur de sécurité et de progrès. Et, moralement, la transparence semble garantir la confiance entre ceux qui n'ont rien à se reprocher. Dans ces conditions, il est difficile de plaider pour le secret. Ou au moins pour sa persistance, voire sa croissance. Et pourtant...
L’image de citadelle assiégée renvoyée par Madrid au moment de la crise catalane soulève de nombreuses questions, et interroge sur la propension que peuvent avoir certains acteurs politiques à tendre vers des logiques d’exception au nom d’une lutte contre une menace informationnelle et/ou pour défendre un système démocratique en proie à de prétendues attaques exogènes.