Bienvenue dans un monde d’audiences massives et segmentées !
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Résumé
Aujourd’hui, le président Macron donne une interview au média vidéo numérique Brut. dans la foulée d’une vidéo virale parue dans Loopsider. Dans un autre registre, l’un des principaux think tanks français, l’Institut Choiseul, lance avec Antidox un nouveau média économique, Choiseul Magazine. Chacun perçoit bien que le monde des médias est en mutation accélérée, ce qui nécessite pour les dirigeantes et dirigeants de mettre en place de nouvelles stratégies dans leur approche de l’espace public.
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Aujourd’hui, le président Macron donne une interview au média vidéo numérique Brut. dans la foulée d’une vidéo virale parue dans Loopsider. Dans un autre registre, l’un des principaux think tanks français, l’Institut Choiseul, lance avec Antidox un nouveau média économique, Choiseul Magazine. Chacun perçoit bien que le monde des médias est en mutation accélérée, ce qui nécessite pour les dirigeantes et dirigeants de mettre en place de nouvelles stratégies dans leur approche de l’espace public.
Après avoir réalisé une interview sur Al Jazeera, articulé sa vision géostratégique dans l’excellent Grand continent, réagi sur Twitter à la dernière crise liée à la loi sécurité, voila notre président en direct sur Brut. ! Il renforce là une stratégie déjà engagée, qui l’avait amené à féliciter les nouveaux bacheliers sur TikTok. Cette stratégie nous rappelle cette règle de Jacques Pilhan : si « le réel est dans le poste », qui installe les mêmes images majeures dans l’esprit de tous, « la différenciation des publics, qui ont tous ce patrimoine minimum commun, se fait à travers des médias complémentaires ». Mais en raison de la porosité de l’espace public et des nouvelles mécaniques de la viralité, une visibilité auprès d’une audience ciblée permet souvent d’obtenir un retentissement à l’échelle nationale, comme ces fameux phénomène de « Ola » que l’on observe dans les stades de football.
De larges audiences souterraines
Le numérique a apporté à nos espaces publics une ouverture massive de la parole ainsi qu’une démultiplication du nombre de médias : chacune et chacun peut devenir, s’il le souhaite, un média. Les audiences de certains individus peuvent être colossales et dépasser le poids de médias installés : à lui seul, le talentueux youtubeur Hugo Decrypte est suivi par 1 million d’abonnés, pour lesquels il analyse l’actualité dans un style sobre, clair et équilibré. Cette myriade de nouveaux médias contribuent à façonner l’opinion et entraînent de vastes mouvements d’opinion, depuis les groupes Facebook de gilets jaunes à ceux qui soutiennent le Professeur Raoult, dotés de plusieurs centaines de milliers de personnes.
De nombreux entrepreneurs, conscients de la possibilité de créer des audiences larges, ont constitué des modèles économiques pour les construire et les valoriser. Certains Etats s’y sont aussi intéressé. Cette course à la puissance les amène à puiser dans des tendances sociétales qui peinent souvent à s’exprimer dans les médias traditionnels. Brut. a longtemps été le média préféré des gilets jaunes grâce à la couverture en direct de Rémy Buisine. AJ+, l’extension numérique d’Al Jazeera, chaîne d’influence du Qatar, a largement diffusé le sentiment d’islamophobie et de « deux poids de mesure » ressentie par une partie de l’opinion musulmane suite aux réactions relatives à l’assassinat de Samuel Paty. RT News, le média d’influence de la Russie, après avoir couvert lourdement les accrochages violents entre gilets jaunes et policiers, a marqué l’actualité avec une vidéo d’un policier battu par la foule lors de la manifestation relative à la loi sécurité globale. Melty, le premier média des jeunes générations, vient d’annoncer hier l’achat du site supersoluce pour accompagner plus largement la massification des nouveaux usages ludiques. Accrocher des tendances lourdes pour construire une audience, c’est bien là le premier objectif : la rédactrice en chef de Loopsider notait sur Twitter, suite à la diffusion de la vidéo du passage à tabac de Michel Zecler : « Quelle journée. Ce matin, nous n’aurions jamais cru que notre vidéo allait avoir un tel retentissement. Plus de 12 millions de vues… Nous pensons très fort à Michel ce soir. Nous avons touché à quelque chose de très sensible dans la société française. Pourvu que ça dure ». Douze millions de vues en quelques heures : un chiffre à comparer aux résultats d’un JT moyen (6 millions pour TF1).
Et ces marques médias ne doivent pas cacher la puissance constituée par un ensemble d’autres médias numériques, de marques et de Youtubeurs. Le community manager du gouvernement français fêtait récemment sur Twitter le fait d’atteindre une audience agrégée d’un million de personnes sur ce réseau social : un chiffre conséquent, mais qui montre en creux le poids tout relatif des autorités publiques et des plateformes institutionnelles, qui explique en partie la fragilité de sa puissance de conviction en situation de crise en France (sur le sujet de la vaccination par exemple) ou à l’international (dans l’explication de la laïcité à la française). Le gouvernement, dans sa lutte contre certaines fake news au cœur de la crise du Covid-19, avait cherché à constituer une plateforme des marques médias « de qualité », prenant acte de sa faible audience personnelle, mais s’attirant les critiques de ceux qui considèrent qu’un gouvernement ne doit pas décider de la qualité de tel ou tel organe de presse.
Des audiences constituées grâce à de nouveaux formats de communication
Pour constituer de larges audiences, similaires et parfois supérieures à celles des grands médias traditionnels que sont France TV Info (2 millions d’abonnés sur Facebook), de TF1 (4,6 millions) et de BFM (3,7 millions), ces nouveaux médias ont exploré les nouveaux espaces numériques. Être dans l’actualité, produire un contenu fort et émotionnel, agréger des audiences, identifier de nouveaux moyens de jouer avec les algorithmes des différentes plateformes sociales et créer de la viralité, voilà le premier enjeu de ces plateformes. Les ressorts sont éprouvés : une histoire simple (parfois simpliste), rapide, émotionnelle (dans l’ordre : colère, tristesse, amour), crédible (prime au direct et au contenu « brut » et sans intermédiaire !). Le format historique, copié des modèles américains, a été défini en France par Brut. : des vidéos de moins d’une minute, avec une accroche forte, des rebonds régulier sous forme d’animations (pour réactiver nos concentrations de poisson rouge) et une clôture en forme de « call-to-action » (cliquer, partager, commenter…). Dominant car adapté à Facebook, il est réinventé aujourd’hui sur instagram, Snapchat, Youtube, TikTok ou Twitch, qui nécessitent chacune d’adapter une même idée à leurs codes spécifiques. Par exemple, en entrant sur TikTok, Versailles vient de proposer un format réussi de vidéos de visites accélérées du palais, sans commentaire et avec des musiques contemporaines. Youtube permet de développer des formats plus longs (une dizaine de minutes) ou très longs, de plus adaptés aux audiences. Le fameux film Hold-Up, qui dure ainsi plus 2 heures 43, a tout de même séduit une large audience. A termes, ces nouveaux médias entendent cibler les grandes plateformes médias Netflix, Amazon Vidéo, etc. pour positionner des contenus longs.
« Medium is message » : de nouveaux modèles économiques générateurs d’opportunités et de risques pour le débat public
Pourquoi constituer de telles audiences ? Le premier enjeu est économique. Le modèle économique est différent de la presse traditionnelle. Pour celle-ci, l’abonnement garantit une forme de sécurité économique et d’indépendance qui permet aux journalistes de travailler des sujets dans le temps, d’oser publier des informations qui nuiraient à des intérêts et d’échapper aux effets de mode. Bien entendu, cette indépendance n’est jamais totale, notamment de par le contrôle capitalistique, la nécessité d’avoir recours à des annonceurs et la volonté de créer des couvertures « choc » pour vendre en kiosque. Et les journalistes ne sont pas exempts de limites ou de biais. Chacun a pu percevoir les prises de positions personnelles hasardeuses sur Twitter de journalistes du Washington Post ou du New York Times dans leur approche de la laïcité française, qui ont parfois donné lieu à des articles contestables. Mais ce modèle permet de créer des rédactions suffisamment larges, capables de revoir collectivement des articles et de disposer de ressources récurrentes qui évitent de subir les éventuelles manipulations.
En regard de ce modèle, Brut., melty, Loopsider et les autres fonctionnent grâce à de la publicité numérique, notamment les contenus que l’on appelle « native », construits pour une marque. Ce modèle, que nous utilisons et promouvons régulièrement chez antidox, permet à une marque de rencontrer une audience avec une puissance considérable. Les médias numériques vivent aussi plus largement de la publicité numérique plus classique (bannières), bien souvent dans un mode programmatique, c’est-à-dire achetées ou vendues de façon semi-automatiques sur des places de marché dédiées : grosso modo, plus de gens cliquent sur un article et plus le média touche d’argent de la part des annonceurs.
Ce modèle a une qualité essentielle, cruciale pour nos démocraties : il diffuse l’information à un large public. Et il permet de porter certains thèmes dans l’espace public, comme l’a montré Loopsider. Il a ses biais. Il peut parfois générer une production en masse de contenus de basse qualité ou de contenus « chocs » (appelés notamment « clickbait » : puisque l’on est rémunéré aux nombres de pages vues, il faut attirer le maximum de lecteurs avec des titres chocs, qu’importe ensuite la qualité du contenu), ce qui n’est pas le cas, d’ailleurs, des principaux médias évoqués. Il est aussi parfois critiqué dans les rédactions des médias traditionnels, s’il vient perturber le travail journalistique plus traditionnel. Cette semaine, la société des journalistes (SDJ) du magazine scientifique Sciences&Vie, racheté par le groupe de médias Reworld Medias (200 millions d’euros de chiffre d’affaires au premier semestre 2020), a fait part d’une motion de défiance contre la directrice du titre, Karine Zagaroli. En cause, le fait que sur le numérique, des articles destinés à accroître l’audience, ne soient pas écrits par les journalistes scientifiques du titre. Ce sujet concerne l’ensemble des médias, traditionnels ou nouveaux. Il faut globalement souligner que les principaux médias ont créé des organisations adaptées pour respecter l’indépendance de leur structure journalistique et veiller à la qualité rédactionnelle de leur contenu.
Le principal point faible de ce modèle économique est sa fragilité. Aux Etats-Unis, les principaux concurrents, Buzzfeed, le HuffPost, Explicite, Mashable ou Vice Media ont annoncé des restructurations en 2018 et 2019. En France, Konbini vient de se placer sous le statut de mandat ad hoc en octobre 2020, l’échec du plan d’internationalisation ayant généré des tensions au sein de la gouvernance. C’est un modèle qui rend les médias dépendant des algorithmes des réseaux sociaux (une modification des règles de Facebook peut entraîner d’importantes baisses d’audience), nécessitant un investissement et un talent créatif soutenu pour être puissant sur les principaux réseaux sociaux, délicat à mettre en place (les journalistes ne souhaitant, à juste titre, pas faire un travail commercial), très peu capable d’internationalisation, et donc à ce stade largement soutenu par l’investissement financier de familles. Bref, le modèle gratuit fondé sur la viralisation est très difficile à soutenir face aux GAFA, qui eux se rémunèrent directement sur les audiences générées par ces médias. Il est aussi concurrencé par des modèles « propriétaires », que nous développons aussi chez Antidox : une entreprise ou un annonceur crée son propre média et ses propres contenu vidéo ou écrits, diffusés grâce à des publicités en social média, en marketing influenceur et en native advertising. Le coût et le reach (public touché) sont grosso modo similaires à des campagnes dans les grands médias vidéo. Il permet à l’annonceur de développer sa propre communauté et d’y diffuser sa marque et sa vision, au lieu de s’adresser aux communautés constituées par les média vidéos (chaque objectif pouvant avoir sa légitimité).
La question de l’influence des organisations et des Etats dans l’espace public
La valorisation de ces gigantesques audiences ne correspond pas qu’à un objectif économique. Il s’agit aussi d’influence. Une institution, un think tank, un dirigeant, une star, un Etat, une entreprise sont avant tout des communautés de personnes porteuses d’une vision, d’une culture et d’un flux d’information. Le relativisme actuel engendré en partie par la démultiplication des points de vue et médias que nous venons de décrire force chaque partie à renforcer sa communauté, à l’irriguer d’une vision, à la rendre plus compétente et experte. C’est aujourd’hui une mission essentielle pour les dirigeants d’organisations et pour les directions de la communication et du marketing de constituer, développer et structurer leur audience, et de faire entendre leur voix dans l’espace public et auprès de communautés proches. D’où la nécessité de prendre davantage la prise de parole. L’objectif n’est pas toujours de parler à tous, mais de rassembler sa communauté ciblée (qui peut bien entendu, pour certains services publics, être très large). Quand Décathlon coupe des budgets publicitaires de CNews, l’entreprise réalise des économies, bien venues en période Covid-19, mais elle envoie aussi un signal fort à sa communauté de clients. Elle fait un choix et affirme une personnalité, dans une logique activiste. C’est une façon d’opérer assez proche des méthodes politiques : d’abord stabiliser un socle, puis agréger des opinions et sociologies différentes autour d’un discours cohérent.
A l’échelle géopolitique et culturelle, cette question d’influence prend un nouveau relief dans le contexte actuel de généralisation des guerres d’influence géopolitique. Les Etats-Unis projettent structurellement leur soft power, par leurs médias, leur langue, la puissance de leurs plateformes et de leurs médias. Les Russes ont renforcés leur puissance grâce à Sputnik (1,3 millions d’abonnés sur Facebook) et RT News (1,5 millions), dont la stratégie actuelle est de cultiver davantage une audience dans la France rurale et périurbaine. Tout indique que la Chine souhaite investir nos espaces publics, en Europe, en Afrique et au Moyen-Orient. D’autres Etats, notamment au Moyen-Orient, ont construit des capacités d’influence. La question récurrente des capacités médiatiques françaises à l’international et européennes à l’intérieur de l’Union européenne est donc posée.
Après avoir réalisé une interview sur Al Jazeera, articulé sa vision géostratégique dans l’excellent Grand continent, réagi sur Twitter à la dernière crise liée à la loi sécurité, voila notre président en direct sur Brut. ! Il renforce là une stratégie déjà engagée, qui l’avait amené à féliciter les nouveaux bacheliers sur TikTok. Cette stratégie nous rappelle cette règle de Jacques Pilhan : si « le réel est dans le poste », qui installe les mêmes images majeures dans l’esprit de tous, « la différenciation des publics, qui ont tous ce patrimoine minimum commun, se fait à travers des médias complémentaires ». Mais en raison de la porosité de l’espace public et des nouvelles mécaniques de la viralité, une visibilité auprès d’une audience ciblée permet souvent d’obtenir un retentissement à l’échelle nationale, comme ces fameux phénomène de « Ola » que l’on observe dans les stades de football.
De larges audiences souterraines
Le numérique a apporté à nos espaces publics une ouverture massive de la parole ainsi qu’une démultiplication du nombre de médias : chacune et chacun peut devenir, s’il le souhaite, un média. Les audiences de certains individus peuvent être colossales et dépasser le poids de médias installés : à lui seul, le talentueux youtubeur Hugo Decrypte est suivi par 1 million d’abonnés, pour lesquels il analyse l’actualité dans un style sobre, clair et équilibré. Cette myriade de nouveaux médias contribuent à façonner l’opinion et entraînent de vastes mouvements d’opinion, depuis les groupes Facebook de gilets jaunes à ceux qui soutiennent le Professeur Raoult, dotés de plusieurs centaines de milliers de personnes.
De nombreux entrepreneurs, conscients de la possibilité de créer des audiences larges, ont constitué des modèles économiques pour les construire et les valoriser. Certains Etats s’y sont aussi intéressé. Cette course à la puissance les amène à puiser dans des tendances sociétales qui peinent souvent à s’exprimer dans les médias traditionnels. Brut. a longtemps été le média préféré des gilets jaunes grâce à la couverture en direct de Rémy Buisine. AJ+, l’extension numérique d’Al Jazeera, chaîne d’influence du Qatar, a largement diffusé le sentiment d’islamophobie et de « deux poids de mesure » ressentie par une partie de l’opinion musulmane suite aux réactions relatives à l’assassinat de Samuel Paty. RT News, le média d’influence de la Russie, après avoir couvert lourdement les accrochages violents entre gilets jaunes et policiers, a marqué l’actualité avec une vidéo d’un policier battu par la foule lors de la manifestation relative à la loi sécurité globale. Melty, le premier média des jeunes générations, vient d’annoncer hier l’achat du site supersoluce pour accompagner plus largement la massification des nouveaux usages ludiques. Accrocher des tendances lourdes pour construire une audience, c’est bien là le premier objectif : la rédactrice en chef de Loopsider notait sur Twitter, suite à la diffusion de la vidéo du passage à tabac de Michel Zecler : « Quelle journée. Ce matin, nous n’aurions jamais cru que notre vidéo allait avoir un tel retentissement. Plus de 12 millions de vues… Nous pensons très fort à Michel ce soir. Nous avons touché à quelque chose de très sensible dans la société française. Pourvu que ça dure ». Douze millions de vues en quelques heures : un chiffre à comparer aux résultats d’un JT moyen (6 millions pour TF1).
Et ces marques médias ne doivent pas cacher la puissance constituée par un ensemble d’autres médias numériques, de marques et de Youtubeurs. Le community manager du gouvernement français fêtait récemment sur Twitter le fait d’atteindre une audience agrégée d’un million de personnes sur ce réseau social : un chiffre conséquent, mais qui montre en creux le poids tout relatif des autorités publiques et des plateformes institutionnelles, qui explique en partie la fragilité de sa puissance de conviction en situation de crise en France (sur le sujet de la vaccination par exemple) ou à l’international (dans l’explication de la laïcité à la française). Le gouvernement, dans sa lutte contre certaines fake news au cœur de la crise du Covid-19, avait cherché à constituer une plateforme des marques médias « de qualité », prenant acte de sa faible audience personnelle, mais s’attirant les critiques de ceux qui considèrent qu’un gouvernement ne doit pas décider de la qualité de tel ou tel organe de presse.
Des audiences constituées grâce à de nouveaux formats de communication
Pour constituer de larges audiences, similaires et parfois supérieures à celles des grands médias traditionnels que sont France TV Info (2 millions d’abonnés sur Facebook), de TF1 (4,6 millions) et de BFM (3,7 millions), ces nouveaux médias ont exploré les nouveaux espaces numériques. Être dans l’actualité, produire un contenu fort et émotionnel, agréger des audiences, identifier de nouveaux moyens de jouer avec les algorithmes des différentes plateformes sociales et créer de la viralité, voilà le premier enjeu de ces plateformes. Les ressorts sont éprouvés : une histoire simple (parfois simpliste), rapide, émotionnelle (dans l’ordre : colère, tristesse, amour), crédible (prime au direct et au contenu « brut » et sans intermédiaire !). Le format historique, copié des modèles américains, a été défini en France par Brut. : des vidéos de moins d’une minute, avec une accroche forte, des rebonds régulier sous forme d’animations (pour réactiver nos concentrations de poisson rouge) et une clôture en forme de « call-to-action » (cliquer, partager, commenter…). Dominant car adapté à Facebook, il est réinventé aujourd’hui sur instagram, Snapchat, Youtube, TikTok ou Twitch, qui nécessitent chacune d’adapter une même idée à leurs codes spécifiques. Par exemple, en entrant sur TikTok, Versailles vient de proposer un format réussi de vidéos de visites accélérées du palais, sans commentaire et avec des musiques contemporaines. Youtube permet de développer des formats plus longs (une dizaine de minutes) ou très longs, de plus adaptés aux audiences. Le fameux film Hold-Up, qui dure ainsi plus 2 heures 43, a tout de même séduit une large audience. A termes, ces nouveaux médias entendent cibler les grandes plateformes médias Netflix, Amazon Vidéo, etc. pour positionner des contenus longs.
« Medium is message » : de nouveaux modèles économiques générateurs d’opportunités et de risques pour le débat public
Pourquoi constituer de telles audiences ? Le premier enjeu est économique. Le modèle économique est différent de la presse traditionnelle. Pour celle-ci, l’abonnement garantit une forme de sécurité économique et d’indépendance qui permet aux journalistes de travailler des sujets dans le temps, d’oser publier des informations qui nuiraient à des intérêts et d’échapper aux effets de mode. Bien entendu, cette indépendance n’est jamais totale, notamment de par le contrôle capitalistique, la nécessité d’avoir recours à des annonceurs et la volonté de créer des couvertures « choc » pour vendre en kiosque. Et les journalistes ne sont pas exempts de limites ou de biais. Chacun a pu percevoir les prises de positions personnelles hasardeuses sur Twitter de journalistes du Washington Post ou du New York Times dans leur approche de la laïcité française, qui ont parfois donné lieu à des articles contestables. Mais ce modèle permet de créer des rédactions suffisamment larges, capables de revoir collectivement des articles et de disposer de ressources récurrentes qui évitent de subir les éventuelles manipulations.
En regard de ce modèle, Brut., melty, Loopsider et les autres fonctionnent grâce à de la publicité numérique, notamment les contenus que l’on appelle « native », construits pour une marque. Ce modèle, que nous utilisons et promouvons régulièrement chez antidox, permet à une marque de rencontrer une audience avec une puissance considérable. Les médias numériques vivent aussi plus largement de la publicité numérique plus classique (bannières), bien souvent dans un mode programmatique, c’est-à-dire achetées ou vendues de façon semi-automatiques sur des places de marché dédiées : grosso modo, plus de gens cliquent sur un article et plus le média touche d’argent de la part des annonceurs.
Ce modèle a une qualité essentielle, cruciale pour nos démocraties : il diffuse l’information à un large public. Et il permet de porter certains thèmes dans l’espace public, comme l’a montré Loopsider. Il a ses biais. Il peut parfois générer une production en masse de contenus de basse qualité ou de contenus « chocs » (appelés notamment « clickbait » : puisque l’on est rémunéré aux nombres de pages vues, il faut attirer le maximum de lecteurs avec des titres chocs, qu’importe ensuite la qualité du contenu), ce qui n’est pas le cas, d’ailleurs, des principaux médias évoqués. Il est aussi parfois critiqué dans les rédactions des médias traditionnels, s’il vient perturber le travail journalistique plus traditionnel. Cette semaine, la société des journalistes (SDJ) du magazine scientifique Sciences&Vie, racheté par le groupe de médias Reworld Medias (200 millions d’euros de chiffre d’affaires au premier semestre 2020), a fait part d’une motion de défiance contre la directrice du titre, Karine Zagaroli. En cause, le fait que sur le numérique, des articles destinés à accroître l’audience, ne soient pas écrits par les journalistes scientifiques du titre. Ce sujet concerne l’ensemble des médias, traditionnels ou nouveaux. Il faut globalement souligner que les principaux médias ont créé des organisations adaptées pour respecter l’indépendance de leur structure journalistique et veiller à la qualité rédactionnelle de leur contenu.
Le principal point faible de ce modèle économique est sa fragilité. Aux Etats-Unis, les principaux concurrents, Buzzfeed, le HuffPost, Explicite, Mashable ou Vice Media ont annoncé des restructurations en 2018 et 2019. En France, Konbini vient de se placer sous le statut de mandat ad hoc en octobre 2020, l’échec du plan d’internationalisation ayant généré des tensions au sein de la gouvernance. C’est un modèle qui rend les médias dépendant des algorithmes des réseaux sociaux (une modification des règles de Facebook peut entraîner d’importantes baisses d’audience), nécessitant un investissement et un talent créatif soutenu pour être puissant sur les principaux réseaux sociaux, délicat à mettre en place (les journalistes ne souhaitant, à juste titre, pas faire un travail commercial), très peu capable d’internationalisation, et donc à ce stade largement soutenu par l’investissement financier de familles. Bref, le modèle gratuit fondé sur la viralisation est très difficile à soutenir face aux GAFA, qui eux se rémunèrent directement sur les audiences générées par ces médias. Il est aussi concurrencé par des modèles « propriétaires », que nous développons aussi chez Antidox : une entreprise ou un annonceur crée son propre média et ses propres contenu vidéo ou écrits, diffusés grâce à des publicités en social média, en marketing influenceur et en native advertising. Le coût et le reach (public touché) sont grosso modo similaires à des campagnes dans les grands médias vidéo. Il permet à l’annonceur de développer sa propre communauté et d’y diffuser sa marque et sa vision, au lieu de s’adresser aux communautés constituées par les média vidéos (chaque objectif pouvant avoir sa légitimité).
La question de l’influence des organisations et des Etats dans l’espace public
La valorisation de ces gigantesques audiences ne correspond pas qu’à un objectif économique. Il s’agit aussi d’influence. Une institution, un think tank, un dirigeant, une star, un Etat, une entreprise sont avant tout des communautés de personnes porteuses d’une vision, d’une culture et d’un flux d’information. Le relativisme actuel engendré en partie par la démultiplication des points de vue et médias que nous venons de décrire force chaque partie à renforcer sa communauté, à l’irriguer d’une vision, à la rendre plus compétente et experte. C’est aujourd’hui une mission essentielle pour les dirigeants d’organisations et pour les directions de la communication et du marketing de constituer, développer et structurer leur audience, et de faire entendre leur voix dans l’espace public et auprès de communautés proches. D’où la nécessité de prendre davantage la prise de parole. L’objectif n’est pas toujours de parler à tous, mais de rassembler sa communauté ciblée (qui peut bien entendu, pour certains services publics, être très large). Quand Décathlon coupe des budgets publicitaires de CNews, l’entreprise réalise des économies, bien venues en période Covid-19, mais elle envoie aussi un signal fort à sa communauté de clients. Elle fait un choix et affirme une personnalité, dans une logique activiste. C’est une façon d’opérer assez proche des méthodes politiques : d’abord stabiliser un socle, puis agréger des opinions et sociologies différentes autour d’un discours cohérent.
A l’échelle géopolitique et culturelle, cette question d’influence prend un nouveau relief dans le contexte actuel de généralisation des guerres d’influence géopolitique. Les Etats-Unis projettent structurellement leur soft power, par leurs médias, leur langue, la puissance de leurs plateformes et de leurs médias. Les Russes ont renforcés leur puissance grâce à Sputnik (1,3 millions d’abonnés sur Facebook) et RT News (1,5 millions), dont la stratégie actuelle est de cultiver davantage une audience dans la France rurale et périurbaine. Tout indique que la Chine souhaite investir nos espaces publics, en Europe, en Afrique et au Moyen-Orient. D’autres Etats, notamment au Moyen-Orient, ont construit des capacités d’influence. La question récurrente des capacités médiatiques françaises à l’international et européennes à l’intérieur de l’Union européenne est donc posée.
Nous avons un quart de siècle de recul à la fois pour mesurer l’efficacité d’une intention et juger de sa cohérence. Ce qui pourrait se formuler ainsi : comment a-t-on « scientifiquement » défini la valeur universelle pour en faire une catégorie juridique ? Plus malicieusement : comment des représentants d’États ont-ils parlé au nom de l’humanité ou des générations futures et oublié leurs intérêts nationaux ou leurs revendications identitaires ? Plus médiologiquement : comment une organisation matérialisée (le Comité qui établit la liste, des ONG, des experts qui le conseillent…) a-t-elle transformé une croyance générale en fait pratique ? Comment est-on passé de l’hyperbole au règlement ? De l’idéal à la subvention ?
En venant briser la réputation et l’autorité d’un candidat, en venant saper les fondements du discours officiel et légitime d’un État, les fake news et autres logiques de désinformation, viennent mettre au jour l’idée d’un espace public souverain potentiellement sous influence d’acteurs exogènes.
Nos sociétés de l'information exaltent volontiers la transparence. En politique, elle doit favoriser la gouvernance : plus d'ententes clandestines, de manoeuvres antidémocratiques obscures, d'intérêts occultes, de crimes enfouis. En économie, on voit en elle une garantie contre les défauts cachés, les erreurs et les tricheries, donc un facteur de sécurité et de progrès. Et, moralement, la transparence semble garantir la confiance entre ceux qui n'ont rien à se reprocher. Dans ces conditions, il est difficile de plaider pour le secret. Ou au moins pour sa persistance, voire sa croissance. Et pourtant...
L’image de citadelle assiégée renvoyée par Madrid au moment de la crise catalane soulève de nombreuses questions, et interroge sur la propension que peuvent avoir certains acteurs politiques à tendre vers des logiques d’exception au nom d’une lutte contre une menace informationnelle et/ou pour défendre un système démocratique en proie à de prétendues attaques exogènes.