Bangui, nid d’espions sociaux
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Résumé
Mi-décembre, le réseau social Facebook a communiqué sur la mise au jour, suivie du démantèlement, d’une série de réseaux de faux comptes attribués à la France et à la Russie, engagés dans une campagne coordonnée et "inauthentique" de manipulation de l’opinion. Par-delà cette annonce, ces révélations contribuent à jeter un nouveau coup de projecteur sur les terrains où se mène, au quotidien, la bataille des narratifs. Elles interrogent également sur les moyens employés, ainsi que les objectifs poursuivis par les différents acteurs étatiques.
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Mi-décembre, le réseau social Facebook a communiqué sur la mise au jour, suivie du démantèlement, d’une série de réseaux de faux comptes attribués à la France et à la Russie, engagés dans une campagne coordonnée et "inauthentique" de manipulation de l’opinion. Par-delà cette annonce, ces révélations contribuent à jeter un nouveau coup de projecteur sur les terrains où se mène, au quotidien, la bataille des narratifs. Elles interrogent également sur les moyens employés, ainsi que les objectifs poursuivis par les différents acteurs étatiques.
Le 15 décembre dernier, Nathaniel Gleicher et David Agranovich, respectivement responsables de la politique de sécurité et de la cellule de gestion des menaces globales, ont publié un article dans la rubrique news de Facebook consacré au démantèlement de trois réseaux de comptes, groupes et pages, accusés d’avoir violé les politiques de Facebook concernant les ingérences gouvernementales ou étrangères. D’après Facebook, ces différents réseaux auraient été opérés par la France et la Russie, et agissaient dans plusieurs espaces informationnels, notamment en Afrique. De son côté, Graphika, une société américaine spécialisée dans l’analyse des réseaux sociaux et des phénomènes de manipulation de l’information, notamment de la part d’acteurs étatiques, a rendu publique, au même moment, une vaste étude décrivant avec force graphiques et captures d’écran les ressorts des campagnes menées par les réseaux attribués à ces deux pays. Comme l’expliquent les auteurs de cette étude, le premier réseau mis au jour, supposément opéré par l’armée française, était actif en Centrafrique et au Mali. Les deux autres, supposément reliés à Evgueni Prigojine, proche de Vladimir Poutine, et fondateur présumé de l’Internet Research Agency (IRA) et du Groupe Wagner, une organisation paramilitaire proche du pouvoir russe, étaient actifs en Centrafrique et en Libye.
Fait cocasse, et toujours selon Graphika, les frictions auraient été nombreuses entre les différents réseaux avec notamment, et de part et d’autre, une volonté de faire tomber l’adversaire, en révélant les menées sous-jacentes et les objectifs poursuivis derrière l’activisme de façade.
Des stratégies d’influence (dé)territorialisées
L’une des spécificités de cette campagne, notamment du côté du réseau attribué à la Russie, réside dans la participation aux opérations d’acteurs locaux. Depuis les révélations de l’année 2016 sur les actions entreprises par l’Internet Research Agency (IRA), et la série de suppression de réseaux qui en a découlé, les acteurs à l’origine de ces entreprises ont dû adapter leur stratégie et leur tactique. Cette volonté de déporter les assets d’influence sur le terrain des opérations ou bien, au contraire, d’essayer de brouiller les pistes, en délocalisant, directement ou indirectement, une partie de la production de contenus, fait partie des principales mutations survenues ces derniers mois sur le terrain des manipulations informationnelles. À cet égard, en mars 2020, un groupe d’acteurs, composé de CNN, Facebook, Twitter, Graphika, ainsi que Darren Linvill et Patrick Warren, deux chercheurs de la Clemson University spécialisés sur ces enjeux, avait révélé l’existence d’une campagne de désinformation, qui aurait été pilotée par la Russie, utilisant des internautes ghanéens pour cibler les communautés afro-américaines dans le cadre de l’élection américaine de 2020. Les révélations issues de cette étude avaient, là encore, donné lieu à la suppression des réseaux mis au jour par les chercheurs de la part de Facebook et contribué à réveiller les craintes liées aux manipulations informationnelles attribuées au Kremlin. Visiblement peu inquiet de ces révélations concernant cette prétendue campagne destinée à manipuler les élections américaines de 2020, Sputnik France, média affilié à la Russie, avait ironisé en mars dernier, dans son édition francophone, sur la portée de ces révélations. En guise de provocation, l’article n’était, ni plus ni moins, que signé par un auteur pour le moins cocasse, “La Main du Kremlin” (cette signature est utilisée de manière récurrente par Sputnik France comme l’indique la série d’articles accessible ici. D’après les articles renvoyés par cette requête, le premier publié par “La Main du Kremlin” remonterait au 2 novembre 2015 et concerne la situation en Syrie, sujet sur lequel Sputnik et RT, l’autre média russe d’État particulièrement actif sur les réseaux sociaux, publient de manière répétée).
“Le bon chasseur et le mauvais chasseur”
Autre spécificité de la campagne, et au risque de caricaturer, voire de tomber dans un manichéisme stérile, les actions entreprises côté français auraient été plus “vertueuses” que celles initiées par leurs homologues russes. Manipuler l’opinion oui, mais au nom de la lutte contre les fake news. Les chercheurs de Graphika soulignent ainsi que l’opération française visait, principalement, à utiliser des “bons fakes” pour exposer les “mauvais fakes”. Pour Graphika, cette campagne “anti-fake-news”, utilisant notamment des contre-discours, bute tout à la fois sur des contraintes réglementaires, en violant les conditions générales d’utilisation (CGU) de Facebook et, de manière plus problématique, éthique. En effet, si les contenus émis s’inscrivent, en partie, dans une volonté de contrecarrer les campagnes supposées d’opérateurs agissant pour le compte de la Russie, les moyens utilisés, avec la création de faux profils, de faux groupes ou encore de fausses pages, ne sont pas de nature à renforcer la confiance du public dans les réseaux sociaux. Un constat d’autant plus vrai que, lorsque ces campagnes informationnelles sont rendues publiques, comme cela a été le cas pour celle-ci en décembre dernier, la série d’articles qui en découle ne manque pas d’estomper la singularité des démarches, pour mettre l’accent sur le côté sensationnaliste de la chose. Une fois qu’il a été écrit que la France, tout comme la Russie, s’adonnait à l’étranger, et notamment dans ce qui fut longtemps son pré-carré africain, à des actions de manipulation de l’information, le mal est fait. L’action prend le pas sur le contenu. L’opinion retient la manipulation, plutôt que le contre-discours. En somme, un retour au paradoxe métaphysique classique du “bon et du mauvais chasseur”, du sketch des Inconnus.
Beaucoup de bruit pour rien ?
Si la portée de ces révélations demeure toujours conséquente, notamment parce que ces dernières viennent souligner combien les réseaux sociaux sont au centre de batailles informationnelles majeures, bien souvent la réalité des chiffres mis au jour vient quelque peu nuancer l’onde de choc suscitée.
En effet, l’exposition des assets mis au jour par Facebook et analysés en détail par Graphika, montre notamment que, côté français, seule une page, consacrée aux enjeux maliens, dépassait les 4.000 membres. C’est peu. Du côté de la Centrafrique, le top asset français, constitué par le groupe “anti fake news Centrafrique”, n’atteignait guère plus de 34 followers. Là encore, c’est bien peu. Une dimension, somme toute, modeste des pages et groupes français qui tranche, toutefois, avec le réseau gravitant dans l’écosystème russe. Avec notamment une page dédiée à l’Afrique du Sud dépassant les 140.000 followers, une page de soutien au président centrafricain Faustin-Archange Touadéra dépassant les 50.000 followers, ainsi qu’une vingtaine de pages et de groupes dépassant les 1.000 followers chacun.
Si cette réalité statistique doit, comme à chaque fois, permettre d’évaluer concrètement la portée des actions entreprises, afin d’éviter de créer des tigres de papier, la dimension relativement modeste des chiffres avancés, entre autres côté français, ne doit pas conduire à balayer d’un revers de main ces campagnes. Car pour un réseau démantelé, combien de réseaux passent sous les radars ?
“On a tous un réseau”
Dans La Septième Compagnie au clair de lune, chef-d’oeuvre du septième art populaire, le sergent-chef Chaudard, interprété par Pierre Mondy, soulignait la complexité des réseaux de résistance, par cette phrase devenue mythique : “ma femme a son réseau, j’ai mon réseau, mon beau-frère a son réseau, on a tous un réseau, mais on ne mélange pas”. Et il faut dire qu’en termes de réseaux opérés, de nos jours sur les réseaux sociaux, il est pour le moins difficile de s’y retrouver, de démêler le vrai du faux, le fake du vrai et, surtout, de remonter jusqu’aux donneurs d’ordre. Pourtant, et bien que la modestie toute relative des assets mis au jour par Graphika puisse contribuer à relativiser la portée du phénomène, soulignons qu’il ne s’agit, en définitive, que de la partie émergée de l’iceberg. Pour un réseau mis au jour, combien d’entre eux parviennent-ils à échapper à la vigilance des plateformes ?
À cet effet, dans le cadre de travaux menés par l’Observatoire stratégique de l’information (OSI), nous avons notamment croisé la route d’une page Facebook intitulée, tout naturellement, “L’Afrique soutient Vladimir Poutine” et comptabilisant plus de 80.000 membres.
En utilisant les données accessibles via CrowdTangle, un service de Facebook à destination de la communauté des chercheurs, nous avons notamment pu restituer dans le temps l’évolution de la communauté de cette page. Comme l’indique le tracé ci-dessus, certaines ruptures de tendance ne manquent pas de susciter des suspicions d’achats de faux abonnés ou de campagnes de recrutement en paid massives.
En effet, et comme nous pouvons le constater dans le graphique ci-dessus, certaines journées ont donné lieu à l’arrivée de plus de 1.000 membres sur la page. Des phases d’engouement soudain, limitées dans le temps, qui légitimement, conduisent à douter de la dimension purement organique et naturelle de la chose.
Des doutes, au demeurant, renforcés par l’étude du groupe Facebook relié à cette page intitulé, quant à lui, “Groupe de Soutien aux Forces Russes en RCA”. Moins nombreuse, la communauté sur ce dernier n’en est pas moins de 1.400 membres. Outre sa mise en avant des actions de la Russie en Centrafrique en français, ce groupe, tout comme la page d’ailleurs, s’intéresse également tout particulièrement à la question des vaccins. Depuis plusieurs semaines, les publications remettant en cause les vaccins se multiplient, épargnant toutefois Sputnik V, le vaccin made in Russia. Amazing, isn’t it ?
Autant d’éléments qui, quoi qu’il en soit, doivent contribuer à nourrir la réflexion sur la stratégie informationnelle des États et, notamment, à questionner l’adage selon lequel la fin justifierait les moyens. Faut-il lutter avec les armes de l’adversaire ou bien, au contraire, refuser de s’engager sur son terrain voire, pire, reprendre des armes bien peu conventionnelles ? La question est ouverte.
Le 15 décembre dernier, Nathaniel Gleicher et David Agranovich, respectivement responsables de la politique de sécurité et de la cellule de gestion des menaces globales, ont publié un article dans la rubrique news de Facebook consacré au démantèlement de trois réseaux de comptes, groupes et pages, accusés d’avoir violé les politiques de Facebook concernant les ingérences gouvernementales ou étrangères. D’après Facebook, ces différents réseaux auraient été opérés par la France et la Russie, et agissaient dans plusieurs espaces informationnels, notamment en Afrique. De son côté, Graphika, une société américaine spécialisée dans l’analyse des réseaux sociaux et des phénomènes de manipulation de l’information, notamment de la part d’acteurs étatiques, a rendu publique, au même moment, une vaste étude décrivant avec force graphiques et captures d’écran les ressorts des campagnes menées par les réseaux attribués à ces deux pays. Comme l’expliquent les auteurs de cette étude, le premier réseau mis au jour, supposément opéré par l’armée française, était actif en Centrafrique et au Mali. Les deux autres, supposément reliés à Evgueni Prigojine, proche de Vladimir Poutine, et fondateur présumé de l’Internet Research Agency (IRA) et du Groupe Wagner, une organisation paramilitaire proche du pouvoir russe, étaient actifs en Centrafrique et en Libye.
Fait cocasse, et toujours selon Graphika, les frictions auraient été nombreuses entre les différents réseaux avec notamment, et de part et d’autre, une volonté de faire tomber l’adversaire, en révélant les menées sous-jacentes et les objectifs poursuivis derrière l’activisme de façade.
Des stratégies d’influence (dé)territorialisées
L’une des spécificités de cette campagne, notamment du côté du réseau attribué à la Russie, réside dans la participation aux opérations d’acteurs locaux. Depuis les révélations de l’année 2016 sur les actions entreprises par l’Internet Research Agency (IRA), et la série de suppression de réseaux qui en a découlé, les acteurs à l’origine de ces entreprises ont dû adapter leur stratégie et leur tactique. Cette volonté de déporter les assets d’influence sur le terrain des opérations ou bien, au contraire, d’essayer de brouiller les pistes, en délocalisant, directement ou indirectement, une partie de la production de contenus, fait partie des principales mutations survenues ces derniers mois sur le terrain des manipulations informationnelles. À cet égard, en mars 2020, un groupe d’acteurs, composé de CNN, Facebook, Twitter, Graphika, ainsi que Darren Linvill et Patrick Warren, deux chercheurs de la Clemson University spécialisés sur ces enjeux, avait révélé l’existence d’une campagne de désinformation, qui aurait été pilotée par la Russie, utilisant des internautes ghanéens pour cibler les communautés afro-américaines dans le cadre de l’élection américaine de 2020. Les révélations issues de cette étude avaient, là encore, donné lieu à la suppression des réseaux mis au jour par les chercheurs de la part de Facebook et contribué à réveiller les craintes liées aux manipulations informationnelles attribuées au Kremlin. Visiblement peu inquiet de ces révélations concernant cette prétendue campagne destinée à manipuler les élections américaines de 2020, Sputnik France, média affilié à la Russie, avait ironisé en mars dernier, dans son édition francophone, sur la portée de ces révélations. En guise de provocation, l’article n’était, ni plus ni moins, que signé par un auteur pour le moins cocasse, “La Main du Kremlin” (cette signature est utilisée de manière récurrente par Sputnik France comme l’indique la série d’articles accessible ici. D’après les articles renvoyés par cette requête, le premier publié par “La Main du Kremlin” remonterait au 2 novembre 2015 et concerne la situation en Syrie, sujet sur lequel Sputnik et RT, l’autre média russe d’État particulièrement actif sur les réseaux sociaux, publient de manière répétée).
“Le bon chasseur et le mauvais chasseur”
Autre spécificité de la campagne, et au risque de caricaturer, voire de tomber dans un manichéisme stérile, les actions entreprises côté français auraient été plus “vertueuses” que celles initiées par leurs homologues russes. Manipuler l’opinion oui, mais au nom de la lutte contre les fake news. Les chercheurs de Graphika soulignent ainsi que l’opération française visait, principalement, à utiliser des “bons fakes” pour exposer les “mauvais fakes”. Pour Graphika, cette campagne “anti-fake-news”, utilisant notamment des contre-discours, bute tout à la fois sur des contraintes réglementaires, en violant les conditions générales d’utilisation (CGU) de Facebook et, de manière plus problématique, éthique. En effet, si les contenus émis s’inscrivent, en partie, dans une volonté de contrecarrer les campagnes supposées d’opérateurs agissant pour le compte de la Russie, les moyens utilisés, avec la création de faux profils, de faux groupes ou encore de fausses pages, ne sont pas de nature à renforcer la confiance du public dans les réseaux sociaux. Un constat d’autant plus vrai que, lorsque ces campagnes informationnelles sont rendues publiques, comme cela a été le cas pour celle-ci en décembre dernier, la série d’articles qui en découle ne manque pas d’estomper la singularité des démarches, pour mettre l’accent sur le côté sensationnaliste de la chose. Une fois qu’il a été écrit que la France, tout comme la Russie, s’adonnait à l’étranger, et notamment dans ce qui fut longtemps son pré-carré africain, à des actions de manipulation de l’information, le mal est fait. L’action prend le pas sur le contenu. L’opinion retient la manipulation, plutôt que le contre-discours. En somme, un retour au paradoxe métaphysique classique du “bon et du mauvais chasseur”, du sketch des Inconnus.
Beaucoup de bruit pour rien ?
Si la portée de ces révélations demeure toujours conséquente, notamment parce que ces dernières viennent souligner combien les réseaux sociaux sont au centre de batailles informationnelles majeures, bien souvent la réalité des chiffres mis au jour vient quelque peu nuancer l’onde de choc suscitée.
En effet, l’exposition des assets mis au jour par Facebook et analysés en détail par Graphika, montre notamment que, côté français, seule une page, consacrée aux enjeux maliens, dépassait les 4.000 membres. C’est peu. Du côté de la Centrafrique, le top asset français, constitué par le groupe “anti fake news Centrafrique”, n’atteignait guère plus de 34 followers. Là encore, c’est bien peu. Une dimension, somme toute, modeste des pages et groupes français qui tranche, toutefois, avec le réseau gravitant dans l’écosystème russe. Avec notamment une page dédiée à l’Afrique du Sud dépassant les 140.000 followers, une page de soutien au président centrafricain Faustin-Archange Touadéra dépassant les 50.000 followers, ainsi qu’une vingtaine de pages et de groupes dépassant les 1.000 followers chacun.
Si cette réalité statistique doit, comme à chaque fois, permettre d’évaluer concrètement la portée des actions entreprises, afin d’éviter de créer des tigres de papier, la dimension relativement modeste des chiffres avancés, entre autres côté français, ne doit pas conduire à balayer d’un revers de main ces campagnes. Car pour un réseau démantelé, combien de réseaux passent sous les radars ?
“On a tous un réseau”
Dans La Septième Compagnie au clair de lune, chef-d’oeuvre du septième art populaire, le sergent-chef Chaudard, interprété par Pierre Mondy, soulignait la complexité des réseaux de résistance, par cette phrase devenue mythique : “ma femme a son réseau, j’ai mon réseau, mon beau-frère a son réseau, on a tous un réseau, mais on ne mélange pas”. Et il faut dire qu’en termes de réseaux opérés, de nos jours sur les réseaux sociaux, il est pour le moins difficile de s’y retrouver, de démêler le vrai du faux, le fake du vrai et, surtout, de remonter jusqu’aux donneurs d’ordre. Pourtant, et bien que la modestie toute relative des assets mis au jour par Graphika puisse contribuer à relativiser la portée du phénomène, soulignons qu’il ne s’agit, en définitive, que de la partie émergée de l’iceberg. Pour un réseau mis au jour, combien d’entre eux parviennent-ils à échapper à la vigilance des plateformes ?
À cet effet, dans le cadre de travaux menés par l’Observatoire stratégique de l’information (OSI), nous avons notamment croisé la route d’une page Facebook intitulée, tout naturellement, “L’Afrique soutient Vladimir Poutine” et comptabilisant plus de 80.000 membres.
En utilisant les données accessibles via CrowdTangle, un service de Facebook à destination de la communauté des chercheurs, nous avons notamment pu restituer dans le temps l’évolution de la communauté de cette page. Comme l’indique le tracé ci-dessus, certaines ruptures de tendance ne manquent pas de susciter des suspicions d’achats de faux abonnés ou de campagnes de recrutement en paid massives.
En effet, et comme nous pouvons le constater dans le graphique ci-dessus, certaines journées ont donné lieu à l’arrivée de plus de 1.000 membres sur la page. Des phases d’engouement soudain, limitées dans le temps, qui légitimement, conduisent à douter de la dimension purement organique et naturelle de la chose.
Des doutes, au demeurant, renforcés par l’étude du groupe Facebook relié à cette page intitulé, quant à lui, “Groupe de Soutien aux Forces Russes en RCA”. Moins nombreuse, la communauté sur ce dernier n’en est pas moins de 1.400 membres. Outre sa mise en avant des actions de la Russie en Centrafrique en français, ce groupe, tout comme la page d’ailleurs, s’intéresse également tout particulièrement à la question des vaccins. Depuis plusieurs semaines, les publications remettant en cause les vaccins se multiplient, épargnant toutefois Sputnik V, le vaccin made in Russia. Amazing, isn’t it ?
Autant d’éléments qui, quoi qu’il en soit, doivent contribuer à nourrir la réflexion sur la stratégie informationnelle des États et, notamment, à questionner l’adage selon lequel la fin justifierait les moyens. Faut-il lutter avec les armes de l’adversaire ou bien, au contraire, refuser de s’engager sur son terrain voire, pire, reprendre des armes bien peu conventionnelles ? La question est ouverte.
Nous avons un quart de siècle de recul à la fois pour mesurer l’efficacité d’une intention et juger de sa cohérence. Ce qui pourrait se formuler ainsi : comment a-t-on « scientifiquement » défini la valeur universelle pour en faire une catégorie juridique ? Plus malicieusement : comment des représentants d’États ont-ils parlé au nom de l’humanité ou des générations futures et oublié leurs intérêts nationaux ou leurs revendications identitaires ? Plus médiologiquement : comment une organisation matérialisée (le Comité qui établit la liste, des ONG, des experts qui le conseillent…) a-t-elle transformé une croyance générale en fait pratique ? Comment est-on passé de l’hyperbole au règlement ? De l’idéal à la subvention ?
En venant briser la réputation et l’autorité d’un candidat, en venant saper les fondements du discours officiel et légitime d’un État, les fake news et autres logiques de désinformation, viennent mettre au jour l’idée d’un espace public souverain potentiellement sous influence d’acteurs exogènes.
Nos sociétés de l'information exaltent volontiers la transparence. En politique, elle doit favoriser la gouvernance : plus d'ententes clandestines, de manoeuvres antidémocratiques obscures, d'intérêts occultes, de crimes enfouis. En économie, on voit en elle une garantie contre les défauts cachés, les erreurs et les tricheries, donc un facteur de sécurité et de progrès. Et, moralement, la transparence semble garantir la confiance entre ceux qui n'ont rien à se reprocher. Dans ces conditions, il est difficile de plaider pour le secret. Ou au moins pour sa persistance, voire sa croissance. Et pourtant...
L’image de citadelle assiégée renvoyée par Madrid au moment de la crise catalane soulève de nombreuses questions, et interroge sur la propension que peuvent avoir certains acteurs politiques à tendre vers des logiques d’exception au nom d’une lutte contre une menace informationnelle et/ou pour défendre un système démocratique en proie à de prétendues attaques exogènes.